Ci dessous le texte de la conférence prononcée par notre Présidente, Michèle Pallier, à l’issue de notre assemblée générale ordinaire du 30 juin 2021

Marguerite de Provence, illustre et méconnue !

Le 20 octobre 2016, il y aura cinq ans, sur la rive du Ponant, devant la passe des Abîmes, Stéphan Rossignol, maire de la Grande-Motte, inaugurait la Halte de la mémoire dédiée à Marguerite de Provence, à l’initiative de monsieur le Préfet Bernard Pomel, membre de notre Association.

Ainsi célébrions-nous l’épouse de Louis IX, comme nous voulons le faire aujourd’hui.

Illustre oui, mais pourquoi méconnue ?

Pendant des siècles, jusqu’au XIX° peut-on dire, les historiens ont laissé dans l’ombre l’épouse de Louis IX. Pourtant, les documents qui la concernent ne manquent pas : chronique de Jean de Joinville qui accompagna le couple royal pendant la croisade de 1248 à 1254, abondante correspondance avec les membres de sa famille, lignes comptables, et aussi quelques documents plus politiques, où elle apparait.

Première explication : le XIIIème siècle est dominé par deux figures féminines hors pair : Aliénor d’Aquitaine (1120-1204), deux fois reine, mère de deux rois, qui a défié l’empereur, menacé le pape, gouverné son double royaume avec la plus grande maîtrise et joué un rôle éminent dans la politique comme dans les lettres – et Blanche de Castille (1188-1252), sa petite-fille, qu’elle alla chercher à Burgos, à la cour de Castille, pour la mettre sur le trône de France, et qui, veuve à 38 ans de Louis VIII, alors qu’elle attendait son douzième enfant, exercerait avec autorité la régence du royaume et pourvoirait avec sagesse à l’éducation du futur Louis IX. C’est la « rude » belle-mère de Marguerite.

J. de Joinville
Aliénor d’Aquitaine
Blanche de Castille

Ces deux reines « exerceront un pouvoir sans contexte, auront leur chancellerie, leur douaire, leur champ d’activité personnelle ». En revanche, Marguerite de Provence, après son mariage, cohabitant pendant près de vingt ans, avec Blanche de Castille, n’aura aucune autonomie. Après la mort de Blanche de Castille, épouse aimante d’un roi en marche vers la sainteté, cas unique dans l’Histoire de la Royauté, elle joue un rôle discret, mais réel, dans des relations complexes nées, en particulier, de la stratégie matrimoniale de la cour.

Naissance de Marguerite Sa famille

Marguerite de Provence

Marguerite est la fille aînée de Raymond Bérenger V, comte de Provence et de Forcalquier, petit-fils du roi Alphonse 1er, comte de Provence et roi d’Aragon, apparenté à toutes les cours d’Europe et de Castille, et de Béatrice de Savoie, fille de Thomas 1er, comte de Savoie et marquis en Italie, qui tient les marches des Alpes vers les régions si actives de l’Italie du Nord et de la Lombardie, et qui y a fait fortune. Elle est donc de très haut lignage.

Selon toute vraisemblance, Marguerite nait au printemps 1221, il y a 800 ans, au château de Brignoles, où résidait la cour comtale, famille, conseillers, serviteurs, qui nomadise l’hiver dans la plaine rhodanienne, l’été dans les Alpes, l’automne sur la Côte, à Marseille ou à Hyères, l’hiver, le plus souvent au château de Tarascon, à Aix ou à Noves, près d’Arles.

Carte de la Provence en 1125

Malgré son désir d’avoir un héritier mâle qui serait de taille à tenir tête au comte de Toulouse, tour à tour ennemi et adversaire dans la conquête des territoires, et à l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, qui menace Arles et Avignon, Raymond Bérenger aura trois autres filles : Eléonore (1223-1291), Sancie (1225-1261) et Béatrice (1234-1267), qui feront des mariages prestigieux : Eléonore en épousant en 1236 Henri III Plantagenet, roi d’Angleterre, Sancie en 1244, Richard de Cornouailles, frère d’Henri III et Béatrice en 1246, Charles d’Anjou, plus jeune frère de Louis IX. Une constante : Marguerite, qui a un sens aigu de la famille, sera un appui précieux pour ses sœurs, et cet attachement indéfectible sera, au sein du couple royal, à l’origine d’un jeu politique inédit et quelquefois, de vraies difficultés, que ce soit avec Eléonore et l’Angleterre, et Béatrice et le comté d’Anjou.

Ces quatre filles, auprès de parents très unis, ont une enfance heureuse, dans une cour très raffinée, jusque dans la vie quotidienne : on dort dans des draps de lin et de soie, les vêtements sont en velours, ornés de fourrure, hermine et zibeline, onguents, parfums accompagnent les bains. Dans la cour de Raymond Bérenger et Béatrice de Savoie, les troubadours de grande ou petite naissance, perpétuent la tradition de la poésie courtoise. Béatrice de Savoie est très attentive à l’éducation de ses filles. Très cultivée, elle s’intéresse particulièrement à la médecine. C’est ainsi qu’elle offrira à ses filles, en 1256, lors de l’une des rares réunions de famille, une véritable Encyclopédie médicale qui fait date : « Le Régime du Corps » du médecin siennois Aldobrandino, qu’elle a fait traduire de l’arabe en latin et qui donne des règles de santé et d’hygiène pour l’ensemble du corps.

Marguerite parle et écrit le latin, parle le français. Sa correspondance témoigne de sa culture et aussi de sa force de caractère. Dans cette cour où les enfants ne sont pas tenus à l’écart, elle peut entendre les conversations et observer les jeux diplomatiques des adultes. Mais ce ne sont pas ses qualités vantées par la tradition, sa beauté, sa grâce, sa piété, son éducation accomplie, qui vont décider de son sort, mais le résultat d’une subtile stratégie politique et religieuse, approuvée par Blanche de Castille, mère de ce jeune roi, Louis IX, né à Poissy le 25 avril 1214, et qu’il est urgent de marier. Il s’agit de consolider le domaine royal grâce à l’alliance du comte de Provence, malgré les principaux protagonistes, l’Empire, le comté de Toulouse, que soutient toujours Blanche de Castille, la papauté et les grands seigneurs.

Enchevêtrement de stratégies où chacun défend ses intérêts : l’Eglise, en la personne de Grégoire IX, veut le recul décisif de l’hérésie albigeoise et du comte de Toulouse qui la protège. Raymond Bérenger abandonne à ses menées expansionnistes l’empereur germanique Frédéric II, à condition que Louis IX épouse sa fille aînée, destinée à devenir l’héritière du comté de Provence.

Enfin, les négociations menées par le fidèle conseiller de Raymond Bérenger V, Romée de Villeneuve, aboutissent et le 30 avril 1234, Raymond Bérenger et sa femme Béatrice de Savoie reconnaissent devoir au roi de France 8000 marcs d’argent payables en cinq ans à la Toussaint, avec en gage le château de Tarascon et ses revenus. le 17 mai 1234, 2000 marcs supplémentaires, plus les revenus du château et de la baillie d’Aix, le roi s’engageant à célébrer le mariage avant l’Ascension de 1234. Seuls 2000 marcs seront versés Et si Louis IX et son épouse font preuve de patience pour réclamer leur dû, c’est qu’il constituera un motif légal d’intervenir en Provence plus tard.

Le mariage de Marguerite

Il a lieu le 27 mai 1234 à la Cathédrale de Sens. Mariage royal fastueux, selon les rites de la cour, devant quinze mille invités.

Mariage Louis IX et Marguerite

Marguerite, âgée treize ans, a quitté ses parents à Lyon et avec son cortège – son oncle maternel Guillaume, évêque élu de Valence, les trompettes et troubadours du comte de Provence – se dirige vers Sens. Le roi va à sa rencontre. Il est accompagné de Blanche de Castille et de ses deux frères, Robert d’Artois et Alphonse de Poitiers, mais sans les deux plus jeunes enfants de Blanche de Castille, Isabelle et Charles, qui n’ont que 10 et 8 ans, restés à Paris. Suivent les dames de la cour, les conseillers.

C’est à ce moment-là, sans doute, que Louis IX découvre la beauté de Marguerite, que celle-ci tombe sous le charme de ce jeune homme blond, mince et aux traits fins, à l’apparence un peu fragile, et que naît sans doute, un amour qui ne se démentira pas.

Le mariage a lieu en deux temps : la cérémonie nuptiale et le couronnement, devant une foule innombrable, de nombreux prélats et de nombreux vassaux du roi.

La cérémonie nuptiale obéit à certains rites devant la cathédrale, suivis par la messe à l’issue de laquelle l’archevêque de Sens, qui préside la cérémonie, enjoint les jeunes époux à ne s’unir charnellement qu’après trois nuits passées ensemble à prier. Très pieux, bien plus sans doute que la reine qui est modérément pratiquante, Louis IX suit la messe tous les jours, plus quelques offices, prime, none, vêpres, et fait abstinence pendant le Carême, le vendredi et les veilles de fêtes. Il est avéré que les jeunes époux observeront la recommandation de l’archevêque de Sens.

Le lendemain, la reine est couronnée, symbole de pouvoir, comme l’a été le roi à Reims. Ces cérémonies représentent bien sûr des dépenses considérables, assumées par Blanche de Castille. Il y va du prestige de la royauté.

Le 29 mai, le cortège quitte Sens et acclamé par la foule tout au long de la route, atteint Paris le 9 juin.

Blanche de Castille et Marguerite de Provence

A Paris, le Palais de la Cité est la résidence de la cour, c’est-à-dire de toute la famille royale, et de son entourage, quand elle n’est pas à Saint-Germain-en-Laye, Vincennes, Fontainebleau, Senlis, Compiègne, Poissy ou Pontoise, résidence favorite de Louis IX et de Marguerite, car ils peuvent y échapper à la surveillance de Blanche de Castille. Il est aussi le siège du pouvoir et de la Curia, sorte de cour judiciaire qui conseille le roi. Louis IX y fera construire la Sainte-Chapelle pour recevoir la Couronne d’Epines et le bois de la Sainte-Croix achetés en 1239 à Beaudoin 1er, empereur de Constantinople.

Marguerite peut observer de près la réorganisation du royaume à laquelle s’attelle Louis IX et le bouillonnement intellectuel de Paris, malgré ses relations quasi conflictuelles avec sa belle-mère, Blanche de Castille, qu’elle peut rencontrer tous les jours dans cette résidence surpeuplée.

Quelles sont les raisons de cette mésentente ?

A la mort prématurée de Louis VIII, Blanche de Castille avait reporté toute son affection et tout son sens politique sur son fils Louis qu’elle se doit d’initier aux arcanes du pouvoir. Elle voit alors en cette jeune femme, qui brille par son élégance et son intelligence aux fêtes de la cour, et qu’elle a pourtant choisie, une rivale, susceptible de distraire son époux de ses tâches et de constituer un clan opposé au sien, ses conseillers « vieille école », d’autant qu’elles appartiennent à deux familles souvent antagonistes : Castille et Aragon.

De plus, dans le souvenir de cette cour de Provence si accueillante aux poètes, Marguerite va protéger les poètes de la cour de France, chasse gardée de Blanche de Castille, et peut-être inspirer Guillaume de Lorris et « Le Roman de la Rose », à rendre jalouse Blanche de Castille. Jalousie avérée, qui aurait empêché qu’elle soit béatifiée.

A partir de 1240, la situation, que l’absence d’enfant avait conduit à envisager l’annulation du mariage, change : Marguerite donne naissance à Blanche en 1240, Isabelle en 1242 et puis enfin des fils, Louis en 1244 et Philippe en 1245. C’est à ce moment-là que Blanche de Castille va s’éloigner de la Cour pour aller habiter Hôtel de Nesle et que Louis IX va pleinement exercer le pouvoir.

Entre temps, Henri III Plantagenet a épousé Eléonore de Provence, ce qui va compliquer la traditionnelle opposition à l’Angleterre, car, de nouveau, en 1242, Louis IX doit affronter les grands féodaux de l’ouest, soutenus par le comte de Toulouse et Henri III, qui a débarqué à Royan. Les deux armées, c’est-à-dire les deux beaux-frères, s’affrontent sous les murs de Taillebourg. Louis remporte la bataille, mais il ne peut pas pousser son avantage plus loin, l’armée est décimée par la dysenterie et le roi est gravement malade.

Dans cette situation, premier signe de la crainte qu’exercent Marguerite et ceux qui la soutiennent, les conseillers de la Couronne la forcent à jurer, en l’abbatiale Saint-Germain-des-Prés, de ne pas s’opposer aux dispositions que le roi pourrait prendre dans son testament, voyant sans doute Marguerite en chef de parti opposé à Blanche de Castille.

Succession du comte de Provence 

Première déception pour Marguerite : Le 20 juin 1238, Raymond Bérenger, qui meurt en 1245, avait réglé sa succession par un testament rédigé à Sisteron. C’est sa fille Béatrice qui hérite du comté de Provence, écartant ainsi Marguerite et Léonore, Sanchie, épouse de Richard de Cornouailles, ayant un droit éventuel sur le comté au cas où Béatrice n’aurait pas de fils, jusqu’à ce que, par un subtil jeu de succession, le comté arrive finalement à Jacques 1er d’Aragon, cousin de Raymond Bérenger. Le comte de Provence avait pris toutes les précautions possibles pour que le comté échappe aux enfants des rois de France et d’Angleterre.

La déception de Marguerite est grande, mais Louis IX continue à analyser toutes les conséquences de ce testament et « chef d’œuvre de la grande stratégie matrimoniale », après avoir vaincu tous les obstacles, « consent » à ce que son frère Charles d’Anjou épouse Béatrice de Provence, devenant ainsi comte de Provence. Le mariage est célébré à Aix le 31 janvier 1246. Louis IX lui cède l’Anjou, le Maine, les revenus des évêchés d’Angers, du Mans et de l’abbaye de Fontevraud.

Marguerite continuera à revendiquer le comté de Provence jusqu’à la fin de ses jours. Eléonore et Sanchie ne seront pas plus satisfaites, sans compter les Provençaux qui s’opposeront à ce comte étranger…Au lieu d’un brave seigneur, les Provençaux auront un sire…

La croisade de 1248

En décembre 1244, Louis IX retombe gravement malade, rechute des fièvres contractées lors de la campagne de Taillebourg en 1242. Couché sur un lit de cendres, il croit vivre ses derniers instants. Mais il guérit miraculeusement et fait vœu de se croiser, alors qu’il n’apprendra qu’en janvier que les Turcs ont pris Jérusalem le 25 août. Si on connait la réaction de Blanche de Castille, opposée à ce projet, on ne sait rien de celle de Marguerite.

Le roi avait certainement médité l’échec de la Croisade des Barons, en 1239, à laquelle il n’avait pas participé, et qui avait amené un profond changement chez lui, le poussant à mener une vie approchant de la pauvreté, à diminuer son train de vie, jusque là très fastueux, tout en n’y obligeant pas Marguerite, qui passait, en particulier, pour être très dépensière.

Quatre ans de préparation, consistant à mettre sur pied une armée, armer une flotte, prévoir financement et ravitaillement, et le 12 juin 1248, nu-pieds et en tenue de pèlerins, Louis et ses deux frères, Robert d’Artois et Charles d’Anjou, reçoivent à Saint-Denis des mains du légat pontifical, l’oriflamme, l’écharpe et le bourdon. Le lendemain, seules épouses admises à la croisade, Marguerite, Béatrice et Mahaut, épouse de Robert d’Artois, reçoivent, à leur tour, l’écharpe et le bourdon.

Le roi confie le royaume à sa mère, entourée de ses anciens conseillers. Il se fie à son expérience. Il lui confie aussi ses trois enfants, Isabelle, Louis et Philippe. Il lui laisse son fils Alphonse, qui rejoindra plus tard les croisés. Il ne savait pas alors qu’il ne la reverrait pas.

Le temps des épreuves

Le long cortège des chars, des chevaux , des équipages, s’ébranle et va traverser lentement la France, Louis s’arrêtant dans toutes les églises, abbayes, couvents, pour solliciter les prières des religieux, rarement accompagné par Marguerite, dont la piété est plus discrète, mais dont le courage, l’énergie et l’intelligence vont se révéler exceptionnels.

Arrivée au début du mois de juillet à Aigues-Mortes, où seule se dresse la Tour de Constance, la famille royale embarque le 24 août 1248 sur La Montjoie, où un espace a été spécialement aménagé pour le roi et pour la reine. La nef, suivie de dix huit cents navires de toutes sortes portant deux mille huit cents chevaliers, vogue vers Chypre, grenier de la croisade, où elle arrive le 18 septembre 1248, accueillie par Henri de Lusignan dont la famille règne sur l’île depuis la 3ème croisade. Ce ne devait être qu’une escale, le plan de Louis IX étant d’attaquer l’Egypte par surprise pour échanger Damiette contre Jérusalem, mais le départ est constamment retardé, tant par la mort de deux cent cinquante chevaliers, victimes d’une épidémie, que par le retard d’une partie de l’armée, la saison, où on ne navigue pas, et les croisés passent l’hiver dans cette île paradisiaque, où Marguerite fait connaissance avec les charmes de la vie en Orient et Louis avec les subtilités des relations avec la cour du Roi des Tartares, le Grand Khan.

Débarquement à Damiette

Mais à cet intermède succède le temps des combats. Ayant repris la mer à Nicosie le 21 mai 1249, vendredi avant la Pentecôte, le roi – et la reine, qui assiste à tous les événements, arrivent devant Damiette le 27 mai et le 4 juin, c’est le débarquement. Sous les yeux de Marguerite, Louis, portant l’oriflamme, saute à l’eau. Les Egyptiens battent en retraite ; les croisés, après un combat meurtrier où succombe Henri de Lusignan, campent alors face à la ville, tandis que Marguerite, à l’abri derrière les murailles avec les autres dames, soignent les malades et sans doute aussi, les blessés.

Bataille de Mansourah

Fin novembre, après l’arrivée d’Alphonse de Poitiers, l’armée s’ébranle vers le Caire, seconde étape de la stratégie royale, laissant Marguerite enceinte à Damiette. Mais le pire reste à venir. La bataille devant Mansourah, dernier obstacle avant le Caire, tourne au désastre : Robert d’Artois, frère de Louis IX, est tué, l’armée décimée par le typhus, le scorbut, le paludisme, le roi fait prisonnier, ainsi que son frère, Alphonse de Poitiers, et Marguerite, à Damiette, sur le point d’accoucher.

C’est Marguerite qui après avoir mis au monde Jean-Tristan, réussit à éviter le départ des Pisans et Génois qui laisserait la ville sans défense et réussit, avec l’aide de Jean de Joinville, à réunir la rançon que les mamelouks, avec Damiette, exigent pour la libération du roi et des prisonniers.

Joinville rapporte qu’elle avait demandé au vieux chevalier qui dormait dans sa chambre : « Je vous demande par la foi que vous avez engagée que, si les sarrasins prennent cette ville, vous me coupiez la tête avant qu’ils me prennent ».

Comment ne pas louer son héroïsme et son courage, peu communs. La reine quitte Damiette le jour de sa reddition, tandis que le roi la suit quelques jours après que la rançon ait été complètement versée par les Templiers et grâce au sire de Joinville, et qu’Alphonse de Poitiers ait été libéré, et la rejoint à Saint-Jean d’Acre.

A Saint-Jean d’Acre, le roi est reçu avec enthousiasme. Malgré une lettre de Blanche de Castille, accablée par le poids de la régence qui le supplie de rentrer, et les barons qui aspirent, eux aussi, à regagner la France, il décide de rester pour se consacrer à la défense des villes et châteaux de Terre sainte : Sidon, Jaffa, Césarée. Marguerite se réjouit d’avoir retrouvé le roi, malgré ses absences répétées, pendant lesquelles elle assure la bonne marche de la Maison et son prestige, par les réceptions liées à la vie diplomatique. Alphonse de Poitiers, Charles d’Anjou et leurs épouses sont rentrés en France, Marguerite a mis au monde deux autres enfants après Jean Tristan, Pierre né en 1251 au Chastel-Pèlerin, citadelle des Templiers et Blanche, à Jaffa en 1253.

Etats latins d’Orient

Mais une nouvelle va bouleverser la cour : le roi apprend, tardivement à cause de l’impossibilité de naviguer en hiver, que Blanche de Castille est morte le 27 novembre 1252 à Melun et a été enterrée, en habit de cistercienne, à l’abbaye de Maubuisson, près de Pontoise, qu’elle avait fondée, le 29 novembre 1252. Profonde douleur pour le roi, partagée par Marguerite. Il devient urgent de rentrer en France, mais, malgré l’avis de ses conseillers, il retarde son départ. Et ce n’est que le 24 avril 1254, que le roi, la reine et leurs enfants embarquent à Tyr, sans avoir pu pénétrer en Palestine.

Le voyage de retour dure six semaines ; Les nefs affrontent la tempête et frôlent à plusieurs reprises le naufrage, avant d’aborder la côte provençale, à Hyères, où le roi très affaibli, ne veut pas débarquer, contrairement au souhait de Marguerite, car ce sont les terres de Charles d’Anjou. Mais, Marguerite, qui est de nouveau enceinte, obtient gain de cause. Après avoir embrassé sa mère, ayant hâte de revoir ses enfants, elle devance le roi à Paris, tandis que celui-ci, « qui n’avait en vue que la justice et le soulagement des peuples, envoie des commissaires …dans les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, avec ordre d’y restituer les biens qu’on avait injustement unis au domaine royal, en faveur de ceux à qui on les avait ôtés »,1 parcourt « les villes de Beaucaire, de Saint-Gilles et de Nîmes » et arrive à Paris le 7 septembre.

C’est une nouvelle vie pour Marguerite et pour Louis IX, qui choisit pour conseiller un juriste, Gui Foulques, né à Saint-Gilles, qui deviendra pape sous le nom de Clément IV, et décide que la justice sera la même pour tout le monde et qu’aucune intervention ne saura faire fléchir sa rigueur.

La réorganisation du pouvoir dégage de toute charge Marguerite, qui n’a plus qu’à se consacrer à son époux, ses enfants et sa garde-robes…sauf qu’elle doit faire face au conflit qui éclate entre sa mère et son beau-frère Charles d’Anjou, toujours à cause du comté de Provence. Mais ce conflit aboutit à un accord à la suite duquel Béatrix de Savoie quitte la Provence et vient s‘installer à l’Hôtel de Nesle.

Toujours soucieuse de préserver l’entente familiale, avant cet accord, Marguerite avait convaincu Louis de normaliser ses relations avec l’Angleterre et d’organiser, à l’occasion de la venue en France d’Henri III et d’Eléonore une grande fête. Ce qui est fait, fastueusement, et aboutit au traité de 1258, réconciliant les dynasties. De graves événements menacèrent rapidement cette paix , la vie d’Eléonore fut en danger et une fois de plus, Marguerite dut venir au secours de sa sœur.

De son côté, Louis poursuit sa marche vers la sainteté, prenant de plus en plus un chemin de pauvreté. C’est très difficile pour Marguerite, surtout, lorsqu’en 1255, il veut abdiquer en faveur de son fils aîné, Louis, et rentrer dans les ordres, à condition toutefois d’avoir le consentement de son épouse, qui aurait dû le suivre. Mais Marguerite n’est pas animée par la même flamme et convainc le roi de renoncer à ce projet. Autre projet du roi : il souhaite consacrer à Dieu ses enfants nés pendant la croisade : Jean-Tristan chez les Dominicains de Paris, Pierre chez les Franciscains, Blanche chez les Cisterciennes de Maubuisson. Mais aucun n’a la vocation, et Blanche, prenant très au sérieux ce projet, demande au pape Urbain IV de la relever de ses vœux au cas où son père l’aurait contrainte à prendre le voile. Elle devait épouser en 1269 Ferdinand de la Cerda.

La mort de Louis IX

Pendant le carême de 1267, le roi convoque tous ses barons, sans explication. Mais quand, le lendemain, ils le voient monter à la tribune des reliques et se faire apporter un morceau de la Vraie Croix, ils comprennent : ce 27 mars 1267, il annonce que répondant à la détresse de la Terre Sainte aux mains des Mamelouks, il prend la croix et invite ses barons à le suivre. Joinville, cette fois-ci, ne le suivra pas, mais les autres barons acceptent, le jour de la Pentecôte 1267, où est célébré l‘adoubement du prince héritier Philippe, qui donne lieu à une grande fête.

Marguerite, qui le sait hanté par l’échec de la croisade de 1248, ne le dissuadera pas. Mais cette fois, il la laisse en France, sans même lui confier la régence, qu’il donne à deux de ses conseillers, un religieux, Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et un laïc, Simon de Nesle.

Le 14 mars 1270, il prend le bourdon et l’escarcelle du pèlerin et ayant fait ses adieux à Marguerite, part avec ses deux fils, Philippe et Jean-Tristan, et Alphonse de Poitiers. Charles d’Anjou, couronné roi de Sicile à Rome en 1266, étant en désaccord avec le projet de son frère de débarquer à Tunis, ne met aucune hâte à l’aider.

Pourquoi Louis prive Marguerite de la régence ? Faut-il y voir une obscure intrigue de palais dont est l’auteur Pierre de Brosse, tuteur de ce Philippe, héritier du trône que l’on dit « faible d’esprit » ?

En tous cas, avant son départ, Louis prend ses dispositions pour que Marguerite soit à l’abri du besoin, et recommande à Philippe et à Isabelle de  «  la chérir et de l’honorer ».

Cinq mois plus tard, le 25 août 1270, le roi, après trois semaines de souffrance, victime de l’épidémie de dysenterie, il s’éteint devant Carthage. La reine n’apprend sa mort que fin septembre, ainsi que celle de leur fils Jean-Tristan, né en 1250 à Damiette et mort du même mal. Charles d’Anjou, qui avait abordé à l’heure où le roi expirait, décide du sort des restes de Louis IX, les entrailles demeurant en Sicile, le cœur et les ossements inhumés à Saint-Denis.

La reine reprochera amèrement à Charles d’Anjou de n’avoir pas apporté, à temps son soutien au roi.

Le 16 novembre, Philippe, devenu Philippe III, s’embarque pour la Sicile. Terrible tempête, quatre mille morts, sans compter la mort de Thibaud de Navarre, et d’Isabelle, fille aînée de Marguerite. Ayant abordé en Calabre et traversant l’Italie, pour éviter les dangers de la traversée maritime, Isabelle d’Aragon, épouse de Philippe III, enceinte de son quatrième enfant , franchissant un fleuve, tombe de cheval et se tue.

Ce cortège arrive à Paris le 21 mai 1271 et les funérailles solennelles ont lieu le lendemain à Notre Dame de Paris. Le cercueil royal est ensuite transporté à Saint-Denis.

Les deuils ne s’arrêtent pas là : Alphonse de Poitiers, resté en Italie, et son épouse Jeanne, puis Marguerite, la jeune épouse de Jean de Brabant. Année terrible pour Marguerite de Provence.

Mêmes épreuves chez les Plantagenet : Eléonore perd son époux Henri III, son beau-frère Richard de Cornouailles, et son neveu Henri.

Voilà les deux reines veuves après avoir régné trente-cinq ans. Leur foi et leur affection les aident à surmonter leur douleur. Très vite, elles reprennent leurs luttes communes, en particulier contre Charles d’Anjou.

Pour Marguerite, la situation est douloureuse. Les membre du Conseil de Régence, qui lui ont repris une partie de son douaire, sont supplantés par le conseiller et confident de Philippe, l’ambitieux Pierre de Brosse. Marguerite ne protestera pas, mais Marie de Brabant, seconde épouse de Philippe III, le roi le plus effacé de notre histoire, s’en charge. Marguerite récupérera ses droits et se consacrera à l’entretien de ses domaines. Elle garde aussi une certaine influence sur la politique extérieure par sa correspondance avec son neveu Edouard, devenu roi d’Angleterre en 1272, favorisant la rencontre des rois d’Angleterre et de France en 1279, à Reims, confirmant le traité de Paris, signé par leurs pères en 1258.

Les dernières années

Mais Marguerite, privée de l’affection de sa sœur Eléonore, morte en 1292 , s’est retirée de la cour. Elle ne veut pas s’imposer à la cour de son petit-fils, Philippe IV , n’ayant aucune sympathie pour Jeanne de Navarre, épouse du roi, et réside le plus souvent à Poissy, se consacrant aux œuvres charitables . Elle ne contribue pas au procès en canonisation de Louis IX, son témoignage n’ayant pas été sollicité. Retirée au Couvent des Clarisses, elle meurt sans bruit le 30 décembre 1295, dans sa soixante-quinzième année. La canonisation de Louis IX sera promulguée à Orvieto le 4 août 1297.

La mort de Marguerite de Provence passa presqu’inaperçue, les cloches ne sonnèrent pas, en France. Par contre, elles sonnèrent en Angleterre, où Edouard 1er rendait ainsi hommage à sa tante, qui avait tant travaillé à la paix entre la France et l’Angleterre.

Philippe le Bel ordonna des funérailles solennelles pour sa grand-mère, qui fut inhumée dans la basilique de Saint-Denis, auprès de Louis IX, cet époux qu’elle avait tant aimé.

Et c’est en août 1486 que le roi Charles VIII proclame « définitive et éternelle » l’union de la France et de la Provence.