Logis du gouverneur – Aigues-MortesSept. 2022

( NDLR : Lors d’une rencontre au logis du gouverneur à Aigues-Mortes le 19 septembre 2022, Philippe Rigaud, historien et conseiller de la marine, a bien voulu nous autoriser à placer sur notre site un document qu’il a lui-même rédigé. Ce document ci-dessous évoque la vie des galériens du XIVème au XVIème siècle. Sans nul doute, cette situation était la même au XIIIème, période qui nous intéresse particulièrement .)

Ph.Rigaud

Aux bancs des galères de Provence

Galiots de forsa et bonas volhas
(fin XIVe– milieu XVIe siècle)

Itinérances maritimes en Méditerranée, du Moyen Âge à la Première Modernité,
(Paris, Champion, 2019, p. 73-92)
1515A.C. Arles CC 529 f°147

« …loudit de Furno durant (…) sinc semanas dormet sus ung banc tout vestit coma ung galiot a causa que en ladita meyson non y avie plassa per y far ne metre liech… ».

(Ledit de Furno pendant cinq semaines dormit tout habillé sur un banc comme un galiot parce que dans sa maison il n’y avait plus de place pour faire ou mettre un lit…).

Dans l’historiographie des galères peu de place a été consacrée aux équipages si ce n’est pour l’époque moderne -les XVIIe-XVIIIe siècles- bien que d’assez nombreux travaux se sont attachés à l’histoire des Protestants conduits aux galères pour fait de religion. Comme exemple emblématique, les mémoires de Jean Marteilhe un protestant de Bergerac livrent un témoignage des plus intéressants pour l’histoire de cet enfermement et mise en servitude après 12 années passées à voguer les rames sur les galères de Louis XIV1.

Pour la fin de la période médiévale et le début de l’époque moderne dans la vaste et douloureuse histoire de l’esclavage ou du travail forcé ces aspects coercitifs n’ont, jusqu’à présent, qu’assez peu été étudiés ou même approchés2.

Comme souvent les captifs, prisonniers, esclaves, d’origine populaire, n’ont laissé que peu de traces, à la différence des groupes socialement plus relevés qu’il était plus intéressant de rançonner que de mettre en esclavage.

Ainsi, point ou peu de témoignages directs. Cela tient en partie au fait que nous ne disposons pas ou peu de sources narratives dans ces périodes anciennes.

Pour tenter une approche il faut aller puiser dans les sources administratives, édits et mandements, actes notariaux, documents comptables, délibérations communales, remarques ou observations dans les chroniques et récits de voyageurs quand ils existent.

C’est aussi à l’occasion de travaux de recherche sur la guerre de course et la piraterie sur les côtes de Provence pendant les XVe et XVIe siècles que certains faits relatifs à l’enrôlement de force sur des galères d’individus qui, a priori, n’avait rien à y faire ont pu être mis en évidence dans le corpus d’une importante correspondance mise à jour et tirée des fonds d’archives de la ville d’Arles3.

​Les galères et leurs équipages

Quelques rappels sont nécessaires afin de comprendre le cadre matériel, l’outil qui pouvait hanter les craintes de certaines populations, groupes sociaux et individus, que l’arbitraire de la justice et de la guerre en ces temps troublés pouvaient conduire à « voguer, nager les rames ».

La galea ou galera, que l’on peut considérer comme l’archétype du navire des marines de guerre méditerranéennes, est un navire rapide, de faible tirant d’eau, à voilure latine ou (plus rarement) carrée. Elle est essentiellement à usage de la guerre, du transport rapide (d’ambassadeurs), de marchandises précieuses ou plus banales pour les galéasses sorte de compromis entre la nef et la galère. Elles peuvent servir à remorquer les gros navires, par exemple en 1499 lors de la première bataille de Lepante opposant l’alliance franco-vénitienne et rhodienne aux Turcs quand les galères françaises durent prendre en charge les grosses carraques royales comme la Louise, la Charente et le Sainct Jehan la grande nef de Rhodes encalminées par l’absence de vent.

Les galères étaient appelées sotila, bastarda ou grossa selon le cas ; parmi ces dernières les galéasses -à gréement mixte latin et carré-. De classes inférieures d’autres galères étaient en usage comme les galiotes ou fustes (ce dernier terme étant bien souvent une forme générique), les brigantins et au début du XVIe siècle de petits navires de reconnaissance que l’on dénomme frégates ou fargates, ces dernières basées sur une même conception utilisant la voile et les rames comme moyens de propulsion.

La grande galère des XVe-XVIe siècles atteint les 40 m de long et jusqu’à 29 bancs de nage disposés sur chaque bande séparés par le corsier.

La galère est un navire essentiellement adapté à la navigation côtière. Pour faire route on utilise de préférence les voiles que l’on établit sur un, deux ou trois arbres (les mâts en Méditerranée) selon la dimension du navire ; ces voiles sont manœuvrées par des mariniers, un personnel spécialisé professionnel.

L’usage de la rame se fait dans les périodes de calme, de vent contraire ou faible, pour l’atterrissage et toujours pour les manœuvres de combat ; grâce à la mécanique humaine la galère se révélait beaucoup plus maniable dans les tactiques d’abordage.

Chaque banc de nage reçoit 2 ou 3 hommes enchainés tirant chacun sur une rame de longueur différente selon la disposition du rameur. Le groupement caractéristique de ces rames, par 2 ou 3, avait fait donner l’appellation générique birema ou trirema à ces navires. La manœuvre de ces rames, appelée en italien a senzile évolua -vers le milieu du XVIe siècle à Marseille- vers la nage dite a scaloccio, où une seule rame était maniée par plusieurs galiots. Cette innovation technique perdura jusqu’à la dissolution du corps des galères de France en 17484.

Par des serments d’équipages marseillais embarqués sur des galiotes partant en course au début du XVe siècle, nous connaissons avec assez de précision quels étaient les engagements de ces gens de mer participant à la guerre maritime5.

L’obéissance des hommes d’équipage, qu’ils soient mariniers, arbalétriers, galiots de bona volha, ou même officiers, était absolument formelle vis à vis du patron qui détenait le pouvoir absolu.

Ces équipages pouvaient varier de moins d’une dizaine à plusieurs centaines d’hommes selon les dimensions du navire, les buts du voyage, la guerre, le transport de fret, etc… .

En 1494, les galères marseillaises Dauphina, Catherinete et Sanct Loys portent chacune 210 hommes. Une autre galère non nommée a 60 galiots et 60 mariniers (hominibus de capo).

Les mariniers et les companhons forment l’ensemble des matelots et officiers spécialisés dans la manœuvre des agrès et la conduite du navire.

Le coc est le cuisinier du bord, le barbier peut se comprendre comme étant le chirurgien du bord, le remolar lui, est un officier chargé de l’entretien de la palamenta, c’est-à-dire l’ensemble des rames. Le calfat était un officier ou marin chargé de l’étanchéité du navire, le mestre d’ayssa le charpentier du bord est chargé des réparations du navire, le masar est une sorte d’intendant, l’escrivan, un officier commis aux écritures et au rôle d’équipage, le naucher ou pilot conduit la navigation en liaison avec le patron. Le comete ou comite aidé par des sos cometes est une sorte de maître d’équipage, il veillait sur la discipline. On embarquait des arbalestriers commandés par un capitani. Un bombardier et ses aides manoeuvraient l’artillerie. Un trompeta ou deux est employé pour les signaux sonores, indispensables lors des manœuvres, enfin le patron commandait le navire, il était parfois secondé par un luoctenant.

Au bas de l’échelle sociale de l’univers clos qu’était la galère partant en campagne de guerre on trouvait les galiots, les gens de rame, la chiourme6.

Pour ces hommes voués au travail de la vogue deux statuts prévalaient : volontaires, ils recevaient un salaire et participaient éventuellement aux combats et recevaient le cas échéant une part du butin. Ces galiots sont alors appelés en occitan bona volha (en italien bone voglie)7.

Cependant, une bonne part, si ce n’est souvent la quasi-totalité de la chiourme est per forsa à bord du navire.

Il s’agissait pour cette catégorie d’individus soit de prisonniers de guerre trop pauvres pour racheter leur captivité et mis en condition d’esclaves, soit, à partir de la deuxième moitié du XVe siècle, de prisonniers de droit commun mis aux fers des bancs de nage afin de purger leur peine. Enchaînés, ils ne peuvent quitter le bord.

Les conditions de vie sont déplorables à bord des galères dans la promiscuité et l’entassement et le ravitaillement est souvent problématique surtout si la campagne de navigation se prolonge8.

​Bona volha…

Comment pouvait-on en arriver là ?

Le recrutement des galiots volontaires s’effectuait pour une part sur la base d’un engagement pour une durée déterminée. On prêtait serment de bien servir le roi, le navire, le patron et toute la hiérarchie en jurant sur les Evangiles avec l’assurance de recevoir une solde ainsi qu’une part de butin si la course avait été fructueuse dans le cas où il s’agissait d’une campagne de guerre.

Pour ces hommes le travail était dur mais ils étaient libres, du moins théoriquement. Une fois leur temps de service accompli pendant la belle saison la période favorable à la navigation ils pouvaient en principe rejoindre leurs familles.

Toutefois l’on n’était jamais sûr de rentrer chez soi : les combats, les naufrages étaient courants que ce soit en navigation de temps de paix ou en période de guerre et la rame un métier difficile, dur, pénible, mal payé et peu considéré. A juste titre d’ailleurs, ces galiots volontaires ne sont pas perçus avec indulgence par la population et les autorités. Ils sont souvent fauteurs de troubles, pillards et dangereux.

« En septembre 1382, un acte de piraterie, commis dans le port même de Livourne, mérite d’être signalé pour son caractère audacieux et son importance. Une véritable escadre provençale avait doublé par mer cette année là l’expédition de Louis Ier d’Anjou dans le royaume de Naples.

En revenant à leur port d’attache, deux galères marseillaises pénètrent dans le port de Livourne et y trouvent une nef pisane richement chargée, qui arrivait de Palerme et de Tunis. Sa vue excite les convoitises des marins et de la chiourme. Sous le prétexte de demander du pain, la galère de Raimond Fabre aborde tout d’abord la nef sans méfiance et subitement le pillage commence ; l’équipage de Pierre Martin ne veut pas être en reste et Jaume Stornel, patron d’une troisième galère marseillaise, ne peut empêcher ses subordonnés de gagner à la nage la nef mise à sac. Avec peine une barque italienne parvient à recueillir quelques malheureuses passagères, dépouillées de leurs affaires et même de leurs vêtements. Jaume Stornel, très chevaleresque, les recueille sur sa galère et leur fait restituer, au retour de son équipage, tout ce qu’elles reconnaissent être leur propriété. Cela excepté, tout le butin, marchandises, argent, joyaux, perles, vêtements et esclaves est emmené à Marseille »9.

20 juin 1393

Lettre de Francesco Benini adressée à Gênes

« (…) Comme il (le bateau de Steve Michel) se trouvait à l’embouchure (du Rhône), il vit deux bâtiments qui se dirigeaient sur lui, si bien que ceux du bateau crurent que c’étaient des Maures et décidèrent de se défendre. Les deux bâtiments s’étaient rapprochés, ils disent que d’abord ils n’avaient aucune enseigne, mais voyant que les autres se préparaient à la défense, ils levèrent l’enseigne de Gênes, si bien que ceux du bateau voyant cette enseigne jugèrent qu’ils ne pourraient se défendre de ces gens ; le mieux était de larguer les voiles et c’est ce qu’ils firent10.

Lettre de Piero di Lorenzo :

« … Vraiment, si les patrons étaient venus sur notre bateau avant les galériens, rien n’aurait été enlevé ni aux femmes ni à nous, mais ces galériens se jetèrent à la nage et furent sur le bateau avant les patrons, ils nous enlevèrent tous nos vêtements et nos bagages avant l’arrivée des capitaines. En bonne foi, après qu’ils furent à bord, de l’argent et d’autres objets furent enlevés à quelques jeunes Florentins et ils les leur firent rendre en disant qu’ils ne voulaient aucune chose d’aucun Florentin ni Pisan demeurant dans lesdites villes, mais seulement de ceux qui demeuraient à la cour d’Avignon, parce que, disaient-ils, ils sont contre la cour de Rome… »11

Du reste certains de ces galiots volontaires n’hésitent pas une fois la prime d’engagement en poche à déserter. Ce genre de situation met naturellement le patron en grande fureur et on oblige le fugitif ou sa famille à rembourser sa dette, tel ce dénommé Guilhem de Trieves laboureur de Marseille qui en 1421 doit verser 5 florins d’or au patron d’une galère armée, il paiera en deux fois, 2 florins à Noël et 3 florins trois mois plus tard12

En 1460, Louis de Beauvau sénéchal de Provence autorisa Johannon Porcelet de Fos patron de galère de faire pendre « tous ceulx qui sont été accordez pour monter sur nostre galée et qui auront pris argent lesqueux s’en sont alez sans nostre licence et sans congé ».

Assurément en ces périodes de « homme rare » où les épidémies se succèdent, où les guerres durent, se prolongent et dispersent les populations il devenait de plus en plus difficile de trouver des hommes en bonne santé pour tirer sur les rames; surtout dans les conditions proposées.

Un décret du roi Charles VIII du 30 avril 1494 va préciser qu’il n’était pas dans son intention de recruter de force des gens pour les galées subtiles destinées à recouvrer le royaume de Naples, bien au contraire les galiots de « bonne voille seront payés de moys en moys et mis hors desdictes galées ainsi que promis, accordé et appoincté sera avec eux par les dicts patrons… ».

​Per forsa…

Pour faire face à cette pénurie ce sont tout d’abord des prisonniers de guerre qui vont garnir enchainés les bancs de nage ou travailler comme esclaves sur le ponton de la drague du port de Marseille, ce qui arriva à des prisonniers catalans capturés suite au naufrage de leur galiote corsaire sur la côte camarguaise en 146913.

Face au manque récurrent de bras, les patrons des navires n’hésitent pas à s’emparer de force d’hommes raflés sur les rivages afin de combler les vides empêchant les galères de naviguer14.

Pour celui qui est pris, peu d’espoir de se sortir de cette condition de misère et d’affliction, sauf s’il parvient à s’évader à la faveur d’un mouillage, d’une escale ou d’un combat lorsque ses compatriotes ont le dessus ou si la famille parvient à réunir une rançon et payer sa liberté.

Il existe quelques cas d’évadés de galères, comme celui relaté dans une lettre du 16 juillet 1400, suite à un combat entre une galère commandée par un corsaire au service du comte de Provence avec une galère de Savona, le brigantin qui allait de conserve avec elle fit escale à Brégançon proche des îles d’Hyères, son équipage descendit à terre pour cueillir des amandes, cinq Génois qui se trouvaient à bord par contrainte coupèrent une amarre et s’enfuirent, « à la grâce de Dieu, ce fut un beau coup ! », dit Lorenzo di Dinozzo dans une lettre15.

De manière courante les évadés de galère en particulier lorsqu’ils sont étrangers au pays sont d’abord mis en prison par crainte de l’espionnage. D’après une lettre des consuls d’Hyères datée du 22 juillet 1477, les autorités sont informées par un galiot castillan qui s’est échappé et a averti de la présence de la galère du marquis d’Oristano commandée par un chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui se livre au pillage, cependant par méfiance on le met en prison16.

C’est aussi le cas de ce Corse enfui d’une galère turque en août 1518, il fait relation des desseins des navires ennemis mais par précaution, car on ne comprend pas très bien ce qu’il raconte, on le garde en détention quelques jours17.

Le cas d’Arles est emblématique et souvent bien documenté. Espace de circulation le Rhône est un vecteur indispensable pour l’économie du comté et du royaume. Il paraît donc assez habituel que pirates et corsaires hantent ces rivages et s’en prennent aux riverains18.

Assez souvent les autorités essayent de se concilier la bonne volonté des patrons de galères en leur apportant du ravitaillement, en les payant mais ce n’est guère remboursé de gratitude, bien au contraire.

En août 1396, relate Lorenzo di Dinozzo, une galiote catalane resta longtemps sur le Rhône d’Arles allant et venant, à la fin elle s’empara de plusieurs embarcations et emmena prisonniers 50 hommes. Di Dinozzo en tire la leçon : « Voila qui est bien fait pour la ville qui les a reçus et leur a donné du rafraichissement »19.

Une mésaventure semblable arriva au capitaine chargé de la surveillance de l’embouchure du Rhône, commandant la tour du Baloard dite du Lion un beau jour de septembre 1501 celui-ci reçut une fuste de 22 bancs portant un important personnage désireux de rentrer chez lui suite à la campagne de Naples. Le capitaine plein de bonne volonté accueillit avec plaisir le patron et l’équipage qui parlait français en leur donnant un flascon de bon vin et leur demandant de pas se livrer au pillage ce qu’ils promirent volontiers. Las, la fuste se trouvant immobilisée par le vent contraire, les marins bien à l’encontre de l’accord passé se permirent de butiner, abattre des vaches et enlever deux gardians. Le capitaine, Jehan Rohard, dépassé par ce cas de flagrant délit de parjure écrivit une lettre aux consuls d’Arles en demandant un peu tardivement ce qu’il fallait faire20.

De fait, quelques cas parmi d’autres, nombreux : en 1431, une galiote de Marseillais patronisée par des Florentins capture en terre d’Arles des hommes et cause de nombreux dommages21. Cette même année l’amiral catalan Villamari s’empare de quarante deux hommes en Crau et en Camargue et les conduits en Ligurie à Porto Venere. La ville effectue des démarches auprès du roi d’Aragon pour les faire libérer ce qui sera fait un peu plus tard à la faveur d’une trêve22.

En 1441, Arles va défendre des habitants de Tarascon pris par la galère de Foulque d’Agout seigneur de Mison, un noble capitaine au service du comte de Provence qui ne s’embarrasse pas avec le recrutement forcé23.

Quelques années plus tard, en 1459, la ville envoya une ambassade auprès du comte pour se plaindre du fait que les lahuts et galères de Marseille prenaient des gens contre leur gré pour aller combattre en Italie et tenter de recouvrir Naples tombée au mains des Aragonais24.

Cette même année on demanda aux galères royales de ne pas se présenter devant Arles pour chercher le biscuit préparé pour la campagne d’Italie. Motif invoqué par la ville : les moissonneurs saisonniers que l’on appelle les Figons venus se louer pour le travail ne viendraient pas de crainte d’être embarqués de force25. Les autorités arlésiennes en 1460 vont utiliser un évadé de galère un certain Johan Isnart, un pastre, emmené de force sur la galère du noble seigneur de Blain (Dauphiné) qui écumait les rives du Rhône, il est envoyé comme témoin en ambassade à Marseille pour faire relaxer d’autres hommes pris comme lui26.

Autre exemple, en 1466 et l’année suivante c’est la galiote du patron andalou, le corsaire Martin Alonso Pinzón qui accompagna Christophe Colomb dans son voyage de découverte en 1492 qui est signalée pillant les marchands et capturant des hommes dans le delta27.

Les enlèvements se poursuivirent tout au long de ces années de succès et de vaines tentatives de récupérations par le comte de Provence puis par les rois de France des possessions italiennes tombées aux mains de l’ennemi.

Pour récupérer le malheureux mari ou le fils enchaîné et rendu à une condition d’esclave il existait aussi la solution de la rançon à condition que la famille ait eu connaissance de son sort et surtout possède assez d’argent. Une lettre écrite à La Ciotat le 15 août 1499, fait mention de la capture d’un patron de cette ville et de trois barques chargées de blé capturées par des brigantins génois, les patrons de ces derniers réclamant une rançon (rescate) pour les relâcher sinon ils seront aussitôt conduits à Gênes sur les galères d’un capitaine surnommé il Gobo (Fabrizio Giustiniani)28.

Pour les prisonniers de marque, les situations peuvent être différentes, certains sont effectivement enchainés aux bancs de nage, tel est le cas de Guilhem de Villanova, un noble écuyer de Beaucaire maitre d’hôtel du roi Charles VIII. Capturé lors de la conquête de Naples par Ferdinand d’Aragon en 1494, il passera une année à ramer sur une galère avant d’être relâché lors d’un échange de prisonniers29.

En mars 1502, le roi Louis XII ordonna de transférer aux galères de son adversaire Frederic d’Aragon un certain nombre de « prisonniers crimineulx » en échange de cent-vingt gentilshommes faits prisonniers lors des combats pour Naples30.

Le roi lui-même intervient en personne en faveur d’un échange de prisonniers comme il est dit dans une lettre du 4 août 1513 en s’adressant au capitaine de la tour Saint-Jean de Marseille où sont détenus deux génois qu’il propose de remettre en liberté contre deux lieutenants du corsaire Bernardin de Baux, quant aux autres génois qui ont été pris sans doute de moindres valeurs ils pourront être mis sur les galères de ce dernier31.

Droits communs

Afin de combler le déficit chronique de main d’œuvre, inadmissible pour ces hautes causes relevant de la Raison d’Etat à l’instigation du célèbre marchand et armateur français Jacques Cœur, soucieux d’armer à bon compte sa flotte de galéasses de commerce, la peine des galères pour les droits communs est, semble-t-il, juridiquement instituée en 1443.

Pour ce faire un édit signé du roi Charles VII est promulgué : « les personnes oyseuses, vagabondes et autres caimans » seront mises aux galères32.

D’après les sources disponibles ou tout au moins en l’état des recherches il paraît, suite à l’annexion de la Provence au royaume de France après 1481, que le pouvoir central marqua de plus en plus fort ses exigences dans cette région nouvellement acquise afin de pourvoir en équipage, notamment en rameurs, les galères nolisées pour un royaume toujours plus engagé dans les guerres italiennes.

En 1487, le sénéchal de Provence, Aymard de Poitiers demanda à la ville de lui procurer des « prisonniers malfaicteurs » pour armer une galéasse et une galée subtile en partance pour les eaux italiennes33.

En 1493, une délibération du conseil de ville d’Arles interdit à la galère de Berthomyeu Porcelet de Fos, pourtant général des finances, d’aborder en ville: le navire portait des « mauvays garsons » qui en raison de leurs délits s’y trouvaient captifs34.

Il semble toutefois que le scandale des recrutements forcés largement pratiqué ait eu une certaine portée dans l’opinion publique ou tout au moins les plaintes réitérées des communautés urbaines aient été entendues car le 30 avril 1494 le roi Charles VIII émit un décret selon lequel il n’était pas dans son intention de procéder à des engagements forcés pour ses galères envoyées vers Naples. Bien au contraire, ceux qui voudraient s’engager librement seraient bien traités et payés mois par mois35. Cette information publiée et criée ne dut certainement qu’avoir une portée limitée car deux ans après cet engagement au plus haut niveau de l’Etat, en Arles on s’inquiétait toujours de la réalité de sa mise en œuvre. En effet, une lettre des consuls envoyée à leurs ambassadeurs auprès du roi leur rappela que les travailleurs saisonniers (affanadors) ne voulaient plus venir car le roi faisait construire à Beaucaire des galères et ils craignaient d’être embarqués de force. Les consuls leur demandèrent d’intervenir auprès de la chancellerie pour que des lettres soient adressées aux officiers royaux et que des criées publiques assurent et formalisent leur sécurité36.

« …/… D’autra part vous avisan que las gens de travalh que acostuman a venir per aquest temps en la present cieutat reffuson aucunament venir dubtant estre messes en las galeas que fach far lo rey a Beucaire et autres luecs del present pays de Provensa. Per so aven avisat per utilitat delz citadins de la present cieutat obtenir del rey si possible es alcunas letras de securtat en lasquals si mande e comande a toutz officiers de tout lo pays subgietz aldit senhor que fasson crida publica assegurant totz affanador que non syan messes en galeas ny preses per forsa ».

  • Par ailleurs nous vous informons que les gens de labeur qui en ces temps ont coutûme de venir dans cette ville, refusent absolument de venir craignant d’être mis sur les galères que fait faire le roi à Beaucaire et en d’autres lieux de Provence. A cause de cela nous avons demandé d’obtenir du roi, si possible, pour le bien des citoyens de cette ville des lettres de sûreté dans lesquelles il soit demandé et commandé à tous les officiers du roi qu’il soit fait criée publique assurant que les travailleurs ne soient pas mis en galère ni pris de force.

Si les rafles d’hommes libres se poursuivirent sporadiquement sur les rivages provençaux, ce qui est assuré par les sources d’archives, en revanche sur les communautés urbaines les pressions royales avides de moyens humains pour les conquêtes italiennes ne se démentirent pas.

En 1503, on demanda aux Arlésiens de fournir trente sept galiots pour « voguer les rams ». On leur paiera un capuchon de serge et leurs dépenses lorsqu’ils seront conduits à Marseille.

Il était évident que la ville n’avait pas à sa disposition ce nombre de « volontaires » ou de prisonniers susceptibles de rejoindre la flotte. On envoya donc un homme en Avignon afin d’en engager ; pour cela on donna au recruteur la somme plutôt conséquente de 50 florins « affin que de meilleur cueur ils viengnent »37. Cette mobilisation qui « fait feu de tout bois » en cette année 1503 est bien confirmée par le chroniqueur marseillais Honorat de Valbella qui dit: « L’an que dessus et a 15 de mars, arribet aysi lo capithani Prejan anbe V galeros armados et lo propo jort de sa vengudo foron presses tos los ruffians que si troberon en Marssilha et foron messes en galero per forsso » (Le 15 mars de cette année là vint le capitaine Prejan avec cinq galères armées et le jour même de son arrivée tous les rufians que l’on pouvait trouver à Marseille furent pris et mis par force aux galères)38.

Si Arles dépense pour se procurer des « volontaires », à Marseille cette année là il semble que ce soit par la rafle et le vidage des prisons que l’on remplit les bancs de nage des galères du fameux Prejan de Bidoux amiral et capitaine général des galères du Levant39.

Arles, sans doute, ne put cette année fournir le contingent demandé car en décembre une série de lettres comminatoires du sénéchal de Provence René de Tende dit le Bastard de Savoye et du Parlement rappelèrent la ville à son devoir vis à vis du roi.

La cité devait alors fournir cinquante hommes (ou quarante selon les lettres) mais n’avait pu en envoyer que treize et ces derniers en tel état de délabrement physique que le contrôleur des galères indigné les refusa en soulignant dans sa dernière missive, menace à peine voilée, qu’il n’eut plus besoin d’écrire pour que les Arlésiens fassent leur devoir40.

Martigues, également, ville côtière très engagée pour le service du roi est également sollicitée pour la fourniture de galiots. En 1510, les consuls du quartier de Jonquières sont tout autant gênés par les demandes réitérées des commissaires des galères. Ils tentèrent d’engager des étrangers en leur donnant un florin en prime d’engagement comme, disent-ils, ont procédé ceux du quartier de l’Ile.

En 1518 et 1538, la même sollicitation est à nouveau formulée par les officiers du roi, les Martegaus doivent encore fournir des rameurs. Face à cette demande impérative ils procédèrent selon la même méthode éprouvée, engager des étrangers contre de l’argent, mais au minimum (trobar de gens per anar en gualero et que faso lo mens que pora donar d’argent ausdichs que anaran per gualeros,

  • il faut trouver des gens pour aller en galère mais que l’on donne le moins possible d’argent à ceux qui iront (pour qu’ils rejoignent Marseille et les galères en souffrance d’équipages)41.

A défaut, ils enverront certains habitants du lieu désignés pour cette corvée mais les textes laissent entrevoir une certaine mauvaise volonté ou tout du moins peu d’enthousiasme42. Il en est de même en 1518 à Six-Fours où quatre hommes sont désignés pour le service des galères du roi43.

Cete enrôlement forcé pouvait conduire à la désertion tel est le cas de Hugues Castellan de Signes en 1519 qui avait été désigné comme bona volha pour servir sur les galères royales, s’étant enfui il fit l’objet d’une lettre de prise de corps contenant l’ordre de le conduire à Marseille44.

​Droits communs

Ces gens, prisonniers, crimineulx, ruffians, delats et autres déviants paraissent, en l’état des recherches, venir de tout le comté et du royaume et certains se recruter parmi une population d’artisans, tels ces neuf compagnons boulangers d’Aix conduits liés aux galères à Marseille en 1459. On ne sait quelle faute ils avaient commis si ce n’est une certaine « desobeyssance à l’encontre de nostre mandement » écrivait René comte de Provence dans une lettre de justice45.

En principe la justice du comte de Provence puis celle du roi de France condamnait à une durée limitée l’enfermement sur les galères mais celle-ci pouvait se prolonger selon les aléas de la campagne en cours ou les promesses non tenues.

Au delà de ces promesses le texte de la chanson ci-après évoque bien le languissement de ces galiots condamnés qui voient la campagne maritime se prolonger -après la mort de Charles VIII et l’arrivée de Louis XII sur le trône de France qui poursuivra la guerre- et cela malgré leur temps de pénitence accompli46 :

Chanson des galiotz [après 1498]

Sy je suis triste et plain d’ennuy,
Nul ne s’en doit esmerveiller;
Je n’ay point cause de m’esjouir
Si ce n’est de braire et crier.
Celluy, qui nous devoit oster
Hors de soucy,
En France a voulu retourner,
Sans avoir eu de nous mercy.
S’on nous donnoit la clef des champs
Sans nous tenir plus enfermez
Veu que j’avons servy le temps
En quoy nous estions condapmnez,
Nous ne serions point tourmentez
Si rudement;
Les meres qui nous ont portez
On fait piteux enfantement.
A l’entrée du noble roy [Louis XII]
Nous pensions estre resjouyz
Cuydions nous tous en bonne foy
Q’en liberté nous fussions mis.
Sinon Prejan,
Il dit qu’il nous fera mourir
En ces gallées en grant tourment.
Dieu pardoint a nostre tuteur,
C’est le huyctiesme de ce nom [Charles VIII]
Sur tous princes c’estoit la fleur,
Il le monstra de là les mons;
Ses galians, ces galiotz
Fist defferrer,
Et renvoya les compaignons
A Romme les pardons gaigner.

Une lettre de Louis XII datée du 22 juillet 1508 envoyée au Parlement de Provence précisait quels étaient ces personnes susceptibles de rejoindre les galères de Prejan de Bidoux ainsi les : « vaccabons, gens oyseulx, rufians, pipeurs et hasardeulx de dez et de cartes, coquins, mandiants sains et convalescents » alors que ceux accusés de meurtre, de guet-apens, crime de lèse majesté, faux monnayeurs, rapteurs et violeurs de filles vierges en étaient exclus, sans doute leur sort réservé à la potence. A cette lettre patente Prejan accusa réception auprès du Parlement en envoyant un de ses lieutenants exécuter le commandement royal afin de pouvoir faire armer deux galères47.

Ces hommes condamnés et d’abord emprisonnés sont semble-t-il fouettés avant d’être emmenés sur les galères.

En 1515, à Aix, quatre « délas » furent ainsi fustigés et on leur coupa les oreilles pour les conduire à Marseille sur la galère de frère Bernardin de Baux lieutenant de Prejan, tous deux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem48. Punition et mutilation sont semble-t-il courantes afin de traumatiser et humilier les condamnés à une peine infamante.

En 1518, un homme prit pour un an de galère sur celle de Bernardin et, des « vaccabons et malfacteurs », plus un homme « qui avoit deux femmes » qui était resté en prison un mois et trois jours furent tous condamnés à la rame49.

​Deux chansons

Le traitement réservé aux gens de galère et tout particulièrement aux condamnés a laissé d’autres traces dans la tradition populaire de ce temps. En témoignent ces deux autres chansons où sont évoqués le sort des galiots50.

  1. Au chant de l’alouette

(vers 1525)

1. J’ay bien esté sept ans
En une tour jolye (bis)
Ou j’ay longtemps esté;
Maintenant on m’y maine
Sur la mer pour voguer.

(Refrain)

Au chant de l’alouette
Et du rossignolet
Plus n’iray voir ma mie
Cueillant le joly muguet

2. Capitaine Prejan,
Par amour je vous prie (bis)
Que ne m’y mettez mye
Coucher sur le tillas;
Je suis homme d’église
Jamais je n’euz travail.

(Refrain)

3. Je serviray ja bien
A faire la cuisine (bis)
Et j’y porteray bien
Harnoys et brigandine,
Et l’espée au costé
Si quelc’un contredise
A vostre voulenté.

(Refrain)

II. Chansons des brodeurs condamnés aux galères (vers 1531)51

1. Gentils brodeurs de France
Qui avez faict l’esdict
Quand frapperez sur table,
Q’un chascun contredict,
Du syzeau qui est dict
Sur peine de l’amande,
Vous en serez punis, bannis,
Avec la tourloura la la;
Mis en dure souffrance

2. Vous ne vouliez manger
Que lamproye et saulmon,
Et le bon vin de Beaulne
Que ne trouviez pas bon !
Avec la tourloura la la;
C’est pour vostre meschance.

3. Le baron Sainct Blanquart
Vous a faict demander,
Car il a une robbe
Qu’il veult faire brouder.
Vous aurez a disner
Du biscuit sans doubtance;
Les poux verrez vouler, trotter
Avec la tourloura la la;
Sur vous en habondance


4. Vous aviez de coustume
De vous aller jouer
Chantant sur la riviere;
En lieu de beisongner;
Estoit vostre mestier
Tournée or est la chance;
Maintenant fault voguer, nager,
Avec la tourloura la la;
Aux galeres de France.

5. Pour confermez vos dictz
Que dictes avoir faictz,
Le baron Sainct Blanquart
A esté ordonné
Pour en determiner
Comme juge en substance.
Aller, vous fault voguer, renger [ramer]
Avec la tourloura la la;
Souz son obedience.

Bertrand d’Ornezan, baron de Saint-Blancard, marquis des Iles d’Or était vice-amiral et capitaine général des galères du Levant entre 1528 et 154052.

Continuité du recrutement de forçats

Sous le règne de François Ier la pratique de vider les prisons pour remplir les galères ne se démentit pas ; de fait, la relance de la guerre contre l’empire ottoman emmena le pouvoir royal à intensifier le recrutement forcé.

Ainsi le 25 avril 1518 une lettre adressée au conseil de ville d’Arles fut lue en séance, en demandant la mise à disposition de 18 « crimineulx » à la charge de Claude de Manville des Baux pour les galères royales « afin d’obvier aux dampnées entreprinses du Turc… »53.

Lorsqu’on consulte le catalogue des actes de François Ier lors de ces longues années de confrontation avec l’empereur Charles Quint on trouve de très nombreux mandements enjoignant à ses capitaines de mettre tout en œuvre pour mettre sur les galères des hommes emprisonnés, cela selon les mêmes critères : les « paillards, ruffians, vagabonds, meurtriers, gens scandaleurs coutumiers de mal faire » et on choisira les plus beaux, sains, jeunes et forts.

Il en fallut 150 à fournir par le Parlement de Toulouse pour les conduire à Marseille sous le commandement de Bertrand d’Ornezan54.

Lorsque François Ier fut fait prisonnier à Pavie c’est la régente Louise de Savoie qui prit ces mêmes dispositions en élargissant, par exemple, selon ce mandement du 1er décembre 1525 au parlement de Normandie aux prisonniers coupables de crimes « qui ont mérité et desserviz la mort ou autre grosse paine et punition corporelle » à destination de Marseille, preuve peut-être d’un accroissement des besoins en hommes pour servir les galères55.

​Mutineries

Les conditions de vie ou plutôt de ce que l’on peut imaginer de survie à bord des galères en campagne aux XVe et XVIe siècles ont provoqué par deux fois au moins des mutineries sur les galères de Marseille. L’une échoua, l’autre réussit.

Les évènements sont rapportés par le chroniqueur Honorat de Valbella observateur de la vie marseillaise et provençale entre 1498 et 1539.

Dans les deux cas ces révoltes contre les autorités de la galère furent le fait des gens mis de force.

« Le 13 juin 1510 -rapporte Honorat de Valbella- survint à Marseille une chose digne d’être racontée. C’est que l’amiral Prejan vint de Gênes avec ses six galères armées et huit brigantins. Il arriva aux îles [du Frioul] et, après quelques jours deux de ces six galères vinrent au Farot prendre des hommes et des vivres. Ils y demeurèrent tout le jour et, quand vint le soir, aux environs de l’Angélus, la chiourme de l’une de ces deux galères, nommée l’Anguilha, se souleva contre les bonas volhas avec une telle fureur qu’ils tuèrent le comite qu’on appelait le Tarentin et plusieurs autres, si bien qu’ils se rendirent maîtres de la galère et qu’il y eut un grand massacre tant de bonas volhas que de forçats et soixante dix neuf morts ou blessés dont la plupart moururent. Le capitaine Prejan était à terre. Quant il apprit la nouvelle, il cria comme un enragé et demanda à la ville une aide qui lui fut accordée, de telle sorte qu’en moins d’une heure on réunit plus de quarante barques armées et un brigantin sur lequel monta le capitaine. Ils allèrent cerner cette galère, l’investirent par la force des armes et, non sans effusion de sang, ils en reprirent enfin possession grâce à leur grande vaillance. Lorsqu’ils l’eurent reprise, l’autre galère la remorqua jusqu’aux îles [du Frioul] où était toute l’escadre.

Le 19 juin, toutes les galères et les brigantins se rassemblèrent au Farot et là Prejan fit exécuter trois hommes dont l’un appelé le Picard, auquel il fit couper la main puis la tête et ensuite les cuisses et les bras. Il fit mettre la tête sur un billot de bois avec une partie du corps à la pointe du Farot. Les deux autres hommes furent ramenés aux îles où il les fit pendre à une roue de charrette. Il est vrai qu’il les fit d’abord étrangler sur la galère. Dieu leur pardonne ! Ils sont sortis du Purgatoire, plaise à Dieu que leur âme aille en Paradis »56.

Six années plus tard à Marseille une autre mutinerie se produisit :

« Le 14 octobre de la même année (1516) Bernardin (de Baux) et Pedro Navarro prirent la décision de renvoyer à Marseille les deux galères de frère Bernardin qui faisaient partie de l’escadre de Pedro Navarro, à cause de l’arrivée de l’hiver.

Elles quittèrent les îles d’Hyères et, lorsqu’elles furent entre La Ciotat et l’île de Rieu, un soir à l’heure de la troisième garde, la chiourme se révolta contre les bonas volhas ; de telle sorte qu’ils tuèrent leur patron Johan Jerome, l’écrivain et plusieurs autres et furent ainsi maitres de la galère. Cela fait, ils mirent à la voile et nul ne sait de quel coté ils sont allés. L’autre galère voulait faire de même mais elle n’y réussit point car les bonas volhas furent les plus forts, de sorte qu’ils se sauvèrent et rentrèrent à Marseille absolument affolés »57.

En fait cette galère réussit à rejoindre Barcelone et un mois plus tard les consuls de Marseille écrivirent aux autorités de cette ville cherchant à récupérer la trirème enfuie et réfugiée dans la capitale catalane58.

Avec ces deux épisodes il est symptomatique de constater qu’il y a réellement deux populations cohabitant à bord des galères, d’un coté les officiers avec toute leur autorité, les mariniers, les bonas volhas les rameurs volontaires bien souvent de pauvres types mais libres et de l’autre la masse de la chiourme, forçats, prisonniers de guerre et droits communs pour qui le prix de la liberté pouvait se payait cher.

L’étude de la situation des condamnés aux galères et des volontaires pendant ces périodes encore peu fréquentées par l’historiographie reste à élargir. De fait, de nombreuses informations et témoignages résident dans les pages des séries d’archives de justice, dans les documents notariés, les chroniques et jusque dans les livres de compte.

Cette contribution n’est donc qu’un préliminaire pour une recherche sur l’histoire de l’enfermement fut-il sur un espace maritime que l’on dit, dans d’autres circonstances, ouvert et libre.

Philippe Rigaud

Compléments

Source : J. M. Loffreda, Galériens de Marseille, 1685-1690, Mémoire de maitrise d’histoire moderne, Aix, 1968.

Publié dans Documents de l’histoire de la Provence, Toulouse, Privat, 1971, p. 200-203.

Chanson sur les galères de Marseille

« Quand j’entris dans Marseille
Je fus bien étonné
De voir tant de forcères
Deux à deux enchainés
Et moi très étonné
Me pensant reculer
A grands coups de gourdin
L’on me fit avancer.

Quand j’entris en galère
Trouvis un argousin
Tout remply de colère
Plus traite que Caïn
Un rasoir dans sa main
Pour raser mes cheveux.

Je ne fais que languir
De vivre je ne peux.
Quand ce méchant perfide
La tête m’eut rasée
Je n’étois plus en vie,
Mais j’étois tout pamé
Encore, me dit-il :
« Vilain, despouille-toy
Prend les habits du roy
Car les tiens sont à moi. »
Les habits qu’on me donne
De grosse toile estoient,
Une chemise rouge
Aussi est le bonnet,
Une chaîne à mes pieds
Pour pleurer mes péchés,
J’endure autant de mal
Que les pauvres damnés.

L’on m’apprend à écrire
D’une étrange façon :
La plume qu’on me donne
A trente pieds de long
L’encre ne manque point
Car l’encre, c’est la mer
La plume c’est la rame
Qui m’apprend à voguer.

Messieurs de la Justice
Où m’avez-vous réduit :
Dedans une galère,
Bien loin de mes amis,
Lié et garroté
Comme un cruel lion,
Battu et tourmenté
A grands coups de bâton.

Qui a fait la chansonnette ?
C’est Pierre de Blaty
Qui est né dans la ville
De Cahors en Quercy
Lequel est accusé
En son corps défendant,
De tuer un escholier
Et se dit innocent.

Arturo Perez-Reverte, Corsaires du Levant, Paris, Seuil, 2008, p. 119. (roman)

« … Jadis, il avait eu du mal, lui aussi à se faire à la rude vie des galères : le manque d’espace et d’intimité, le biscuit rongé par les vers et les rats, dur et insuffisamment trempé, l’eau fangeuse et écoeurante, les cris des mariniers et l’odeur de la chiourme, les démangeaisons causées par les vêtements lavés à l’eau salée, le sommeil inquiet sur une planche avec une rondache pour oreiller, le corps toujours livré au soleil, à la chaleur, à la pluie et au froid des nuits fraiches en pleine mer, qui avec la tête exposée au serein, étaient cause de congestion et de surdité. Sans compter les nausées par mauvais temps, la fureur des tempêtes et les dangers de la guerre, en combattant sur de frêles charpentes instables sous vos pieds, menaçant à chaque instant de vous jeter à la mer. Et tout cela en compagnie de galériens qui formaient la pire des confréries possibles : esclaves, hérétiques, faussaires, repris de justice condamnés au fouet, faux témoins, renégats, tricheurs, parjures, ruffians, brigands des grands chemins, tueurs à gages, adultères, blasphémateurs, assassins et voleurs, qui ne laissaient jamais passer l’occasion d’une partie de dés pipés ou de cartes graisseuses. Sans que les mariniers et les soldats fussent meilleurs, car chaque fois qu’ils descendaient à terre – à Oran, il avait fallu en pendre un pour faire un exemple-, il n’était pas de poulailler qu’ils ne dévastent, de verger qu’ils ne ravagent, de tonneau qu’ils ne mettent en perce, de pitance et d’habit qu’ils ne s’attribuent, de femme dont ils n’abusent, ni de paysan qu’ils ne maltraitent ou ne trucident. Comme disait le vieil adage : Mon Dieu, donnez la galère à qui en voudra »;

Publié par Jean-Jacques Bouchard, Voyage de Paris à Rome, Paris, 1630, p. 186-188.

Un marinier chante cette oraison d’une voix très lugubre et espouvantable :

Laudate sia lo nome de lo bon Giesu Christe nous mande que bon voyage et bon passage gagne salvament. Vousautres marinari fariens preguiere a Dieu.

Monseigne Saint Giulian, corpi Sainte Marthe nostre confessori que Dieu nous traite et nous condugue a leur melieure, a leur salvamente de la nau et de la marcansi et de vousautres, seigneurs marinari que la meine et que la guide.

Et vousautres seigneurs marinari fariens priguiere a Dieu et a Madone Sainte Marthe che nous salve la nau et la barque et les genti tutti quanti.

Et vousautres, seigneur marinari fariens priguiere a Dieu nous salve l’aubre et l’antenne, la vele che va con elle, la megeane con la pene, lou trinquet con lou penon et l’ourgeau con lou timon. Escoute, escoutille, bras et mantille lasque si la bouline, sarti, soubreventi et sotteventi semper sie bon tesade, sentine agoutade, murade espongade sempre si revisitade, la mer bonasse, largue si lou vent.

Christ nous mande un bon port soutto vent, queste voyage et l’autre que farem si Dieu voule.

Amen.

Ave Maria per nave si ben vagude
Bon voyage, fasi que la salude
Amen.

Dieu vous mande la bonne sere mesi lou patron, mesi lo nauchier, mesi l’escrivan et mesi lo gardian et tutti-quanti, la vostre valenti compagnie de poupe à proue, premiere gardi passe de poupe a proue.

Christ nous mande lo vent en poupe est voyage et l’autre que farem si Dieu voule.

1 Jean Marteilhe, Mémoire d’un galérien du roi-soleil, éd. A. Zysberg, Paris, 1982.

2 Quelques travaux sur ce thème ont ét publiés : M. Aymard, Chiourmes et galères dans la Méditerranée du XVIe siècle, Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, Histoire économique du monde méditerranéen (1450-1650), Toulouse, 1973, p. 49-63 ; A. Audisio, Galériens dans le port de Marseille au XVIe siècle, Marseille face au(x) pouvoir(s), Marseille, 2002, p. 45-54 et, particulièrement pour les XVIIe-XVIIIe siècle, P.W. Bamford, Fighting ships and prisons. The Mediterranean galleys of France in the age of Louis XIV, Minneapolis, 1973 ;

A. Zysberg, Les galériens. Vie et destins de 60.000 forçats sur les galères de France, 1680-1748, Paris, 1987; A. Zysberg, Le temps des galères 1481-1748, Histoire des galères, bagnes et prisons (XIIIe-XXe siècles), Toulouse, 1991, p. 79-106.

3 Philippe Rigaud, Pirates et corsaires dans les mers de Provence. Letras de la costiera (XVe-XVIe s.), Paris, 2006.

4 Les galères ont été l’objet d’assez nombreuses études, concernant l’époque médiévale et moderne citons : N. Fourquin, Galères du Moyen Age, Quand voguaient les galères, Paris, 1990, p. 66-87 ; E. Fasano-Guarani, Au XVIe siècle : comment naviguent les galères, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°2, 1961, p. 279-296 ; A. Garcia i Sanz, N. Coll i Julià, Galeres mercants catalanes dels segles XIV i XV, Barcelona, 1994 ; Collectif, La galea ritrovata. Origine delle cose di Venezia, Venezia, 2003 ; E. Garnier, L’âge d’or des galères de France. Le champ de bataille méditerranéen à la Renaissance, Paris, 2005.

Sur les galères modernes, la littérature est encore plus abondante dont : A. Zysberg, Les galériens, op. cit. ;

J. Fennis, Trésor du langage des galères, 3 vol., Tübingen, 1995 ; J. Humbert, La galère du XVIIe siècle. Evolution technique, tracé des formes, Grenoble, 1986.

5 Les galiotes sont des galères de taille plus réduite, birème généralement. A. Unali, Aspetti dell’organizzazione di un’armata navale aragonese nella prima metà dell’400, Medioevo. Saggi e Rassegne, 11, 1986, p. 83-102;

Ph. Rigaud, Un serment d’équipage de galère à Marseille au XVe siècle, Capian, 2, 1990, p. 34-37.

6 Le terme est issu du grec kéleusma et signifie le chant, celui dont les rameurs s’accompagnaient lors du travail de la rame.

7 Sur le vocabulaire nautique occitan: N. Fourquin, Ph. Rigaud, Glossaire nautique de la langue d’Oc, 2e éd., Saint-Tropez-Toulon, 1994 ; J. Fennis, Trésor du langage des galères…, op. cit.

8 J.J. Hermandiquer, À propos de l’alimentation des marins sur les galères de Toscane au XVIe siècle, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°6, 1963, p. 1141-1150 ; F.C. Lane, Salaires et régime alimentaire des marins au début du XIVe siècle, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1963, p. 133-138.

9 D’après E. Baratier, F. Reynaud, Histoire du Commerce de Marseille, Paris, 1951, T. II, p. 182-183.

10 A. Brun, Annales avignonnaises de 1382 à 1410. Extraites des Archives de Datini, Mémoires de l’Institut Historique de Provence, T. XIII, 1936, p. 69-73.

11 A. Brun, Annales…, op. cit., p. 69-73.

12 A.D. BdR. 351 E 270 f°146.

13 A.C. Arles AA 20 f°35 ; Ph. Rigaud, La galeota d’Arle. La capture d’une galère catalane en Camargue en 1469, 1984.

14 Sur les galères catalanes le recrutement forcé apparait au début du XVe siècle, A. Garcia i Sanz, N. Coll Julià, Galeres mercants…, op. cit., p. 329-332.

15 A. Brun, Annales…, op. cit., T. XV, p. 36.

16 A.C. Arles CC 217 f°27dans Ph. Rigaud, Pirates et corsaires…, op. cit., p. 58-60.

17 Ph. Rigaud, Pirates et corsaires…,op. cit., p. 136-138.

18 Ph. Rigaud, Pirates et corsaires sur le Bas-Rhône (IXe-XVe siècles), Guerre et commerce en Méditerranée (IXe-XXe siècles), Paris, 1991, p. 37-57.

19 A. Brun, Annales…, op. cit., T. XIV, 1937, p. 33-34.

20 A.C. Arles CC 524 f°169bis dans Ph. Rigaud, Pirates et corsaires dans les mers de Provence…, op. cit.,

p. 95-99.

21 A.C. Arles BB 1 f°160v°.

22 A.C. Arles BB 1 f°162r°v°, 164v°.

23 A.C. Arles BB 2 f°282v°.

24 A.C. Arles CC 191 f°26v°.

25 A.C. Arles CC 191 f°33v°.

26 A.C. Arles CC 192 f°21, 50v°, 52v°.

27 A.C. Arles BB 4 f°251v°, 260 ; CC 206 f°8. F. Albardaner i Llorens, Columbus corsair and the Pinzón brothers, pirates in the Mediterranean, before 1492, The Northern Mariner/Le Marin du Nord, XXI, n°3, p. 263-278.

28 Ph. Rigaud, Pirates et corsaires dans les mers de Provence…, op. cit., p. 85-86.

29, C.-B. Petitot, Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, Paris, T. 14, 1820.

30 A.C. Arles CC 524 f°139.

31 A.D. BdR. 355 E 260 f°281.

32 Ch. de la Roncière, Histoire de la Marine française, II, Paris, 1902, p. 277-278. Caiman : mendiant.

33 A.C. Arles CC 520 f°319.

34 A.C. Arles BB 6 f°131.

35 A.C. Arles CC 522 f°45.

36 A.C. Arles CC 522 f°128v° (8 mai 1494) ; CC 522 f°62 (29 avril 1495).

37 A.C. Arles CC 524 f°595 (1502) ; BB 6 f°304 (1503).

38 Honorat de Valbelle, Histoire journalière, éd. V. L. Bourrilly, R. Duchêne, L. Gaillard, Aix, 1985,T. II, p. 16.

39 A.D. BdR. B 3319bis f°53.

40 A.C. Arles AA 20 f°50, 56 ; CC 524 f°451, 651, 683, 687, 691, 798.

41 A.C. Martigues BB 1/2 cahier 1517-1518 f°39.

42 A.C. Martigues BB 1/2 cahier 1509-1511 f°143-144.

43 A.C. Six-Fours BB 1 f°20-21.

44 A.C. Six-Fours EE 25.

45 A.D. BdR. B 1618 f°168.

46 A. de Montaiglon, Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, T. VIII, Paris, 1857, p. 315.

47 A.D. BdR. B 3319bis f°70.

48 A.D. BdR. B 1621 f°423.

49 A.D. BdR. B 1652 f°171v°, 176, 320, 321.

50 Emile Picot, Chants historiques français du seizième siècle, règnes de Louis XII et François Ier, Paris, 1903,

p. 45 n°53.

51 Emile Picot, op. cit., p. 55 n°62. Le 1er mai 1531, ces brodeurs condamnés aux galères arrivent à Marseille, Honorat de Valbella, op. cit., T. II, p. 229.

52 J. Vuillet, Bertrand d’Ornezan marquis des Iles d’Or, Toulon, 1939-1941 ; Dictionnaire des pirates et corsaires, (G. Buti, Ph. Hrodej dir.), Paris, CNRS Editions, 2013, p. 601.

53 A.C. Arles BB 8 f°97v°.

54 A.C. Toulouse AA 13 n°132.

55 Catalogue des Actes de François Ier, T. 5, p. 738, n°18515.

56 Honorat de Valbelle, Histoire journalière…, op. cit., T. II, p. 29-30 ; A.D. BdR. B 1232 f°1v° : 18 juin 1510,

« …le jour que la galée se mutina a la gregate, l’Angille« 

57 Honorat de Valbelle, Histoire journalière …, op.cit., T. II, p. 87.

58 A. de Capmany y de Monpalau, Memorias historicas sobre la marina, comercio y artes de la antigua ciudad de Barcelona, Barcelona, 1961, T. II, p. 661, n°454.