Par Bernard Aubert – Révision 11 Mai 2021
Petite histoire des cavaleries médiévales sur le pourtour méditerranéen
Résumé – Le cheval a été utilisé de longue date à des fins militaires. Plutarque estime qu’Alexandre le Grand est parti d’Europe vers l’Asie avec 4 à 5 000 cavaliers. Au Moyen Âge la cavalerie va constituer l’essentiel de la force militaire des pays soumis au système féodal. Les barons et les émirs combattant toujours à cheval décidaient du sort des batailles. Plusieurs royaumes et empires vont se faire et se défaire au gré des charges de cavalerie.
En un siècle à peine, califes et sultans prendront possession du Sud et de l’Est du Bassin Méditerranéen, puis étendront leurs conquêtes vers le sous-continent indien. Ils résisteront à l’Est aux croisades successives menées par les Européens et à l’Ouest au rouleau compresseur mongol. L’implantation des états latins d’Orient en terres musulmanes aux XII° et XIII° siècles créera une mosaïque de partage du territoire. Des échanges économiques et culturels vont néanmoins se faire jour, tant avec l’islam chiite que sunnite.
Dans toutes ces péripéties, des cavaliers intrépides, projetés sur de lointains théâtres d’opération, ont écrit à la pointe de leurs étriers les hauts faits de l’histoire médiévale. Leurs doubles équins ne devaient pas être moins enclins que leurs maîtres à la bravoure, au moment de s’élancer à pleine vitesse dans le fracas des armes. Les deltas du Rhône et du Nil ont constitué les deux axes majeurs de cette épopée, à la fois militaire et religieuse.
L’étonnante expérience normande
S’agissant de l’Occident médiéval, l’histoire commence au XI° siècle non pas en Méditerranée, mais sur la côte normande. Guillaume le Bâtard défend son fief normand contre Henri 1° de France, troisième de la dynastie des Capétiens, avec l’aide de sa cavalerie. Il prendra, quelque temps plus tard, le nom de Guillaume le Conquérant, pour avoir traversé la Manche avec ses chevaux et s’être emparé du Royaume d’Angleterre à la bataille d’Hastings en 1066. Plus surprenant, vers la même époque, une famille de petits nobles originaires de Hauteville-la-Guichard dans le Cotentin, s’aventure à 2 000 km à l’autre extrémité de l’Europe, dans le sud de l’Italie.
La fratrie de Hauteville regroupe une élite de combattants dont la force repose sur une nouvelle cavalerie lourde. Ses chevaliers, armés d’une forte lance, chargent leurs adversaires au galop du cheval. Ils sont protégés par une armure composée d’une tunique de maille métallique couvrant jusqu’au cuisses, d’un casque de type « bol » avec protection nasale et d’un bouclier viking esquivant les pluies de flèches. Ce nouvel équipement équestre n’existe pas encore en Italie du sud. Pas plus que les châteaux à motte, que ces guerriers normands implantent au gré de leurs nouvelles conquêtes. C’est en 1130 que Roger II, fils de Roger de Hauteville, parviendra à réunir les états d’Italie du Sud, jusqu’alors sous influence byzantine et arabo-musulmane. Il se fait couronner roi de Sicile dans l’ancienne mosquée de Palerme devenue cathédrale.

Armure de type normand
A la croisée des mondes latin, grec et arabe, le nouveau royaume normand de Sicile sera un modèle de tolérance au cœur du Moyen Âge. Bien que chrétien de rite latin, la chancellerie s’y exprimera dans les trois langues. L’administration de proximité reste aux mains des locaux, Arabes, qui forment alors la majorité de la population. Deux siècles auparavant la Sicile avait cédé aux incursions des Fatimides chiites de Tunis, curieusement appuyées par un contingent de cavalerie omeyade débarqué de Cordoue. Durant une soixantaine d’années, la Sicile normande connaîtra cette « Renaissance du XII° siècle » marquée par la recherche de nouveaux savoirs tirés de la traduction de textes grecs fondamentaux. Elle connaîtra une cohabitation inter-ethnique apaisée, pour ensuite céder à la convoitise des empereurs romains germaniques, lesquels seront remplacés par la domination angevine, puis aragonaise.

Expansion maximale de la Sicile au XII° siècle
Cavaleries médiévales en Méditerranée occidentale et orientale
Tout l’art militaire médiéval est de tirer le meilleur avantage possible du cavalier sur sa monture. Avec des chevaux plus rapides et plus lourds, il peut frapper plus efficacement pour mieux surprendre et dominer. En contrepartie il faudra un équipement de nouvelles protections.
En méditerranée occidentale, au cours des XII° et XIII° siècles, des progrès notables interviennent dans la sélection du destrier, cheval de bataille, par opposition au palefroi, cheval de cérémonie. Autant celui-là est remarqué pour sa solidité, sa rapidité et son agilité, autant celui-ci l’est pour sa finesse et sa douceur. Recruté à l’origine dans la race frisonne, le destrier offre une capacité de portage qui lui permet d’être monté par des hommes avec armure. Il fera l’objet de croisements avec le « cheval dit espagnol » ou andalou.
L’andalou provenait lui-même d’un mélange de cheval barbe (berbère) d’Afrique du Nord et de pur-sang arabe, élevage développé sous le califat de Cordoue. Dans les prises de guerre de Charles Martel, avait figuré un contingent de ces chevaux andalous qui seront utilisés ultérieurement pour la remonte. Les auteurs médiévaux décrivent le destrier « grand et puissant». Toutefois il ne faisait guère plus de 1,45 m au garrot. Ce qui le rend plutôt modeste à nos yeux. Le destrier allait au combat protégé par un rembourrage de cuir bouilli tout aussi efficace que la barde. Celle-ci plus lourde n’était employée qu’à l’occasion des tournois. Il convient de rappeler que le premier haras capétien fut créé par Philippe II Auguste à La Feuillie en Normandie.
L’élevage équin va poursuivre son essor au début du XIIIe siècle sous Frédéric II à partir des chevaux arabes de Sicile. L’empereur lui-même aménage ses haras royaux dont il codifie l’organisation, prévoyant par exemple des rations d’orge aux juments pour fortifier la croissance des poulains.
Outre la sélection du destrier, le Moyen Âge connaîtra des innovations dans l’équipement équestre avec le perfectionnement des selles, l’usage de nouveaux étriers, l’amélioration du fer à cheval clouté. S’agissant de l’armure, les progrès de la métallurgie font apparaître le heaume pour la protection de la tête, le gorgelin pour celle du cou et du menton, la cuirasse métallique pour le torse et le dos, les genouillères ainsi que le haubert (tunique de maille courte). Tout cet ensemble nécessitait la présence d’écuyers d’accompagnement.

Armure de la fin du Moyen-Âge
Chevaux du delta du Rhône et commanderies occitanes
Plusieurs commanderies de l’Ordre du Temple se spécialiseront dans l’élevage de moutons, bœufs et surtout de destriers de combat. Ces derniers seront regroupés dans des manses que l’Ordre va acquérir autour d’anciens bras du Rhône afin de pouvoir les acheminer par voie maritime vers les États latins d’Orient. Bien implanté en Occitanie cet ordre religieux militaire jouera un rôle important dans l’élevage de destriers, puis leurs transports vers la Terre Sainte. L’ordre du Temple par exemple fournissait trois chevaux à chacun de ses moines-chevaliers et leur entretien était assuré par un écuyer (articles 30 & 31 de la règle). Parmi ces chevaux se trouvait le destrier entraîné au combat, les deux autres étant des chevaux de bât.
Les Templiers avaient obtenu des seigneurs de Posquières des droits dans la Sylve Godesque qui s’ajoutaient à ceux de la forêt de Clamadour, dite d’Albaron, au sud-est d’AiguesMortes. La commanderie templière de Saint-Gilles était devenue propriétaire des mas d’Aladel et Courtel en 1227 et 1229, moyennant permission de l’abbé de Psalmodi, pour le prix de 36 000 sols raymondins. Autour de l’étang de Mauguio la même commanderie avait pris possession de la forêt de Coitieux recouvrant l’actuel territoire de La Grande Motte et les prairies situées au Sud-Est de cet étang. Enfin dans le dernier tiers du 12°siècle, l’ordre du Temple s’était établi sur l’île de l’Estel, qui fermait le marais de Peccais,
C’est au nord de l’Estel, en bordure du Grau de la Chèvre, qu’était situé Nega Romieu, où se trouvaient des entrepôts maritimes pour les expéditions de chevaux. Ces derniers étaient fournis par les deux commanderies templières de Sainte Eulalie et de la Couvertoirade. Les chevaux des templiers étaient descendus vers les pâtures de l’ile de Stel avant d’être embarqués. Il s’agissait de répondre aux besoins des états latins d’Orient où les combats infligeaient d’importantes pertes en chevaux. Des milliers de chevaux furent ainsi expédiés sur des bateaux affrétés à des marchands italiens.

Le delta occidental du Rhône au Moyen Âge
Une des particularités de la cavalerie occidentale, fut de pouvoir se projeter à plus de 4 500 km de ses bases, jusqu’à Jérusalem. D’abord par voie terrestre lors de la première croisade, puis par voie maritime sur des bateaux affrétés aux pisans, vénitiens et génois. Leurs arsenaux construisirent des galères spécialement aménagées appelées tarides qui pouvaient accueillir 25 chevaux. Par la suite Louis IX signera un accord avec le podestat de Gênes pour noliser des navires d’une taille encore jamais égalée. Longs de 35 mètres et larges de 10 mètres au maître bau, ils avaient un volume d’emport de 900 tonneaux. Ces nefs étaient des « bateaux ronds » à deux mats équipés de voiles latines. Elles disposaient de plusieurs ponts, dont un pont d’écuries de 100 chevaux et pouvaient accueillir 500 hommes avec leur équipement. Les chevaux nourris à leur place ne bougeaient pas, car suspendus à des toiles passant sous leur poitrail, pour éviter qu’ils ne se brisent les membres dans les mouvements du bateau. En guise d’exercice on les fouettait quotidiennement afin de dégourdir leurs jambes qui galopaient dans le vide. Ils devaient être prêts à combattre dès leur débarquement.

Transport du cheval dans son box
En méditerranée orientale la cavalerie turque seldjoukide du plateau anatolien était principalement composée d’archers à cheval, dans la tradition des forces nomades du Turkménistan. Elle se caractérisait par sa grande mobilité et sa capacité à évoluer en unités autonomes les unes des autres. Les turcs seldjoukides pratiquaient le combat traditionnel des peuples de la steppe, fait de harcèlements, de fuites simulées, afin de rompre la cohésion de l’ennemi pour l’entraîner à des embuscades. Dans la vallée du Nil, les cavaliers turcs puis mamelouks, au service des sultans, portaient des vêtements flottants les protégeant du soleil et n’entravant pas leurs mouvements. Ils montaient des chevaux arabes, qui, par leur vivacité, permettaient de contourner l’ennemi et de parcourir rapidement de longues distances. Mais le cheval arabe n’était pas assez solide pour supporter longtemps le poids d’une armure.

Charge de cavalerie occidentale comparée à la charge orientale
La cavalerie mongole représentera une autre menace sur les théâtres d’opération de l’Orient médiéval. Les chevaux mongols issus des vastes troupeaux errant dans les plaines d’Asie centrale étaient connus pour leur robustesse, leur endurance et leur énergie. Leurs pattes courtes supportaient un torse en forme de tonneau. On n’attendait pas d’eux qu’ils fussent rapides, mais forts et endurant sous tout type de climats. Ils étaient élevés pour être contrôlés avec un usage limité des rênes, en réagissant plutôt aux jambes et au poids du cavalier. Le rouleau compresseur de la cavalerie mongole pouvait s’abattre aussi bien dans les steppes que dans les déserts. Cependant Gengis-khan apprendra que, « s’il pouvait s’emparer du monde sur le dos d’un cheval, il ne pouvait le gouverner de sa selle » !
Enfin et non des moindres, il convient de mentionner la cavalerie byzantine héritière de riches traditions. Celles-ci avaient fasciné les vénitiens qui, lors du pillage de Byzance en 1204, s’étaient octroyés le fameux quadrige en bronze de Constantin1er. L’œuvre dominait les stalles de départ d’un immense champ de course impérial de 450m de long, qui pouvait contenir 100 000 spectateurs1. L’armée byzantine comptait dans ses rangs plusieurs types de cavaleries. En premier lieu les archers coursiers légers et les escadrons rapides, très utiles pour les patrouilles aux frontières. Par ailleurs une race de chevaux plus forts, recrutée chez les Scythes, constituait les contingents de cavalerie lourde appelés cataphractaires. L’armure consistait en un revêtement de peaux sur lequel étaient fixées des plaquettes en métal. Ces troupes se déplaçaient plus lentement, mais leur action sur les champs de bataille pouvait être dévastatrice. Enfin une cavalerie semi légère moins protégée mais rapide, était entraînée à prendre en tenaille l’infanterie et la cavalerie ennemie.
En Orient, le transport de chevaux sur navires ne fut pratiqué que sur de courtes distances. Les tarides byzantines, construites en général par des marins italiens seront utilisées pour approvisionner les armées franques en Palestine. La marine musulmane fut principalement développée par les Fatimides. Comme leur fondateur, originaire du Yémen, avait acquis à sa cause des chefs berbères venus en pèlerinage en Arabie, ils avaient établi des successions de comptoirs, depuis la mer Rouge jusqu’au détroit de Gibraltar. Leurs charpentiers de marine qui étaient en général des coptes ou des renégats vénitiens, avaient conçus des galères pouvant emporter jusqu’à quarante chevaux. C’est ainsi que des chevaux arabes furent croisés avec des chevaux berbères. De leur côté les omeyyades de Cordoue avaient installé le siège de leur flotte à Almeria. La marine musulmane s’apparentait plus au type cabotage que de long cours.
Du cheval à la chevalerie dans l’Occident médiéval
Apparue au XI° siècle, la chevalerie fut l’une des institutions les plus importantes du Moyen Âge. Elle se rattachait à la féodalité en s’inspirant de pratiques romaines modifiées et idéalisées par l’église. C’est au cours de cette période qu’advient le statut de chevalier, noble formé dès l’enfance aux arts équestres. Le mot « chevalier » a donné chevalerie, désignant les plus hauts grades militaires médiévaux, symboles d’honneur et de respect. Par l’exercice quotidien, le cheval apporte la gratitude d’une parfaite harmonie d’instinct et de corps avec son cavalier et c’est ensemble qu’ils prennent le risque de la vitesse et du combat. Les chevaliers dotés de fiefs, étaient éduqués très tôt dans l’ambiance de défis hippiques. Ils entraient dans la chevalerie par l’adoubement, cérémonie dans laquelle avait lieu la remise des armes. L’esprit chevaleresque sera marqué par la générosité, le respect de la faiblesse, ainsi que par le culte de la femme. Les galants seigneurs se mettaient au service de leurs gentes dames. Toutes conditions qui incitaient à la vaillance et à l’exaltation des facultés morales. Deux chevaliers se battaient pour la beauté du geste et pour la glorification de leurs dames. Ils restaient « jeunes » jusqu’à leur mariage et l’espoir d’une future union les incitait à briller au combat.

Adoubement d’un jeune chevalier
Les sentiments chevaleresques trouveront leur expression dans une courtoisie, inconnue jusqu’alors. Les « cours d’amour » instaurées par Aliénor d’Aquitaine réuniront des tribunaux composés de dames, de chevaliers et de clercs, qui discutaient ensemble des questions les plus délicates et formulaient leur décision à la pluralité des voix. Le chevalier se faisait un point d’honneur à exécuter un vœu. Il ne devait combattre que pour le bien commun et les intérêts de ses compagnons. Il était seul à porter la lance forte et à revêtir la cotte de maille.
Les ordres de la chevalerie comparés au système mamelouk
Les ordres de chevalerie furent des corporations à la fois religieuses, militaires et hospitalières, dont les membres issus des classes nobles s’engageaient à protéger les pèlerins se rendant en Terre Sainte pour accomplir leurs dévotions au Saint Sépulcre. Dans le vaste mouvement de la réforme grégorienne, le nouveau chevalier du Christ, prononce les vœux du moine, vit selon une règle, mais agit dans le siècle. Le plus ancien de ces ordres fut celui de Saint Jean de Jérusalem ou des Hospitaliers, fondé à Jérusalem au lendemain de la prise de la ville en juillet 1099. L’ordre du Temple fondé plus tard en 1118, près du Temple de Jérusalem, jouera le même rôle. Enfin l’ordre Teutonique fut fondé en 1190 en Allemagne. En tant qu’ordres religieux-militaires, ces institutions constituaient une création originale de la chrétienté médiévale. Par sa foi, le moine soldat non seulement protège mais aussi combat et donc peut être amené à tuer et mourir. Au regard des principes de l’église il est en état de péché en tuant des ennemis, même si ceux-ci sont « infidèles ».

St Bernard : lettrine de la Légende dorée
Toutefois Bernard de Clairvaux dans son écrit De laude novae militiae (« Éloge de la nouvelle chevalerie »), développe l’idée de « malicide » (malicidium) : en fait ce n’est pas un homme que tuerait le « chevalier de la milice du Christ », mais le mal qui est en cet homme. La règle des moines templiers était adaptée à deux modes de vie : conventuelle pour les séjours en Occident et militaire lors des séjours en Orient. Créés pour assister les pèlerins de Jérusalem reconquise par les croisés, les ordres de chevalerie étendront leur mission à la défense des États latins d’Orient, puis à l’Espagne de la Reconquista.
Dans l’islam médiéval il n’y a pas d’institution équivalente aux ordres de chevalerie. La guerre sainte « djihad », s’adresse à tous les croyants et, selon Averroès, l’islam compte quatre types de djihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée. Le djihad par l’épée servira d’argument à différents groupes musulmans, pour promouvoir des actions contre les « infidèles » ou d’autres groupes musulmans considérés comme opposants et révoltés.
Le système mamelouk instauré par les sultans ayyoubides du Caire, aura pour origine, le maintien dans la société d’une caste à part, exclusivement masculine et très fermée. Elle est constituée de l’importation, régulièrement renouvelée, d’enfants esclaves achetés en terres caucasiennes. Ils sont tous égaux, de la même origine ethnique, se nourrissent au lait de jument fermenté. Ils reçoivent la même éducation religieuse et militaire très stricte, impliquant une parfaite maîtrise du cheval2.
Comme un homme libre ne peut être un mamelouk, les enfants des mamelouks nés en terre d’islam donc musulmans, ne peuvent être réduits en esclavage, suivant les préceptes du Coran. Ils vont constituer une classe à part, celle des awlâd al-nâs, qui se mêlent à la société arabe autochtone pour constituer une sorte de bourgeoisie. Toutefois, ils ne peuvent accéder aux plus hauts postes. Ce système, conçu pour éviter l’émergence de chefs militaires tentés par la prise de pouvoir, rendait nécessaire l’importation de nouveaux esclaves. Mais, on va le voir, il n’évitera pas la constitution d’une puissante dynastie mamelouke au Caire.
Les Pèlerinages à Jérusalem
Le pèlerinage de Jérusalem fait partie intégrante des traditions juives chrétiennes et musulmanes. Dans le christianisme ancien, il s’est développé dès le IV° siècle avec l’arrêt des persécutions. A partir des années 700, la ville sainte sera administrée par les Fatimides qui accordent la liberté de culte aux pratiquants des trois religions monothéistes. Dans l’Occident médiéval le pèlerin désirant aller en Terre sainte devait obtenir le consentement de ses proches. Il recevait de la main de l’évêque, à la messe paroissiale, le bourdon et la panetière. Parmi les devoirs du chevalier portant les armes, il y avait l’obligation de défendre le pèlerin, assimilé aux enfants et aux veuves. S’il tombait malade, les hospices lui étaient ouverts, ainsi que l’infirmerie des monastères. On prenait soin de lui comme d’un être privilégié. Toutes les classes de la société fournissaient des pèlerins : princes, prélats, chevaliers, prêtres, nobles et vilains. Plusieurs chevaliers de haute noblesse partiront en croisade avec leur épouse.
En terre d’Islam un des préceptes sera que tout croyant fasse une fois dans sa vie le pèlerinage à La Mecque entre le huitième et le treizième jour du mois de l’année musulmane. Mais le pèlerinage à Jérusalem, lieu de haute inspiration divine du Prophète, était également très prisé.
Hauts faits de cavalerie médiévale dans le Moyen Orient
L’histoire de la Méditerranée au Moyen Âge sera profondément marquée par les guerres de conquêtes, imprégnées d’inspirations religieuses, mais où ne sera pas exclue une volonté d’expansion économique et politique. Pour les musulmans ce sera le djihad et pour les chrétiens ce seront les croisades.
Les turcs seldjoukides, ancêtres des ottomans, apparaissent sur la scène du Moyen-Orient en 1040, lors de la bataille de Dandanakan qui met en déroute les Rhaznévides rejetés vers l’Afganistan. En 1071 la ville de Manzikert près du lac de Van, défendue par les troupes de l’empereur byzantin de Romain IV Diogène, cède au harcèlement de la cavalerie seldjoukide du sultan Alp Arslan. Dès lors la route vers le Sud est ouverte aux seldjoukides qui prennent Jérusalem aux arabes Fatimides. A la période de libre accès des lieux saints, va succéder un état de soumission des chrétiens ayant échappé aux exécutions. De plus, le sultanat seldjoukide de Rum coupe la route de l’Anatolie menant à Jérusalem.
Ce sera le motif de la première croisade (1095 -1099). Elle mobilise plus de 20.000 pèlerins qui se dirigent vers Constantinople sous la houlette de Pierre l’Hermite et Gautier-sans-Avoir. Cette croisade des pauvres est doublée de la croisade des barons qui, avec leur cavalerie lourde, va sécuriser la progression des pèlerins. Aux provençaux de Raymond I° de Saint Gilles comte de Toulouse, vont se joindre les lorrains de Godefroy de Bouillon, les troupes de Baudoin de Boulogne, celles de Hugues de Vermandois ainsi que celles des normands-siciliens de Tancrède de Hauteville.
La bataille de Dorylée du 1° juillet 1097, sera le premier engagement sérieux entre les croisés latins et les seldjoukides du sultanat de Rum. La tactique des archers turcs harcelant de loin la cavalerie lourde se révèle inefficace, leurs flèches n’ayant guère d’effet sur les armures des croisés. Dès lors les Francs vont rapidement progresser vers Jérusalem qui sera reprise le 7 juin 1099. Non content de libérer la ville sainte, les chefs croisés se découpent des fiefs au Levant : le comté d’Edesse, la principauté d’Antioche, ainsi que l’émirat de Tripoli. Ce dernier sera assiégé et conquis par Raymond de Saint-Gilles. Il y fait construire la citadelle du Mont-Pèlerin. Blessé, il dicte son testament à Bertrand des Porcelets avant de mourir précocement en 1105. En septembre de la même année, Godefroy de Bouillon nouveau roi de Jérusalem demeure dans ses nouvelles possessions avec seulement 300 chevaliers et 2 000 piétons.
Ces premiers états latins d’Orient sont dangereusement isolés les uns des autres et mal reliés à la mer. De leur côté les marchands italiens sont réticents à l’idée d’une aventure guerrière qui risque de détériorer leurs relations commerciales avec l’Orient. Mais très vite ils voient dans les croisades un moyen d’élargir le champ de leurs activités, sans dépendre des intermédiaires de sultanats locaux. Ils ne tarderont pas à mettre leur flotte à la disposition de sept nouvelles croisades qui vont s’échelonner de 1147 à 1270.
La deuxième croisade (1147-1149), conduite par Conrad III et Louis VII (qui se croise avec sa première épouse Aliénor d’Aquitaine), échouera devant Damas.
Les années qui vont suivre sont marquées par l’arrivée, au Proche Orient, d’un personnage exceptionnel : Salâh ad-Dîn Yûsûf. Né en 1138 à Tikrit dans le Kurdistan, cet aventurier, que les Francs appelleront Saladin, va réussir en un temps record, l’unification de tous les territoires islamisés qui bordaient les nouvelles possessions latines, depuis Alep jusqu’à Damas et Le Caire3. Pour reprendre Jérusalem, il attire avec sa cavalerie l’armée franque vers la zone désertique d’Hattin en juillet 1187. Après divers combats victorieux de la cavalerie lourde des Francs, Saladin renverse la situation en maîtrisant les seuls points d’eau où peuvent s’abreuver les chevaux. Puis, il met le siège devant Jérusalem le 20 septembre 1187. La ville, défendue par Balian d’Ibelin, résiste et accepte de se rendre contre la vie sauve de ses habitants et moyennant le paiement d’une rançon. Saladin exige dix pièces d’or par homme, cinq par femmes et deux par enfant. Ceux qui ne peuvent pas payer deviennent esclaves. A Jérusalem, Saladin rend à l’islam l’église du Temple qui deviendra mosquée al-Aqsa et laisse aux chrétiens le Saint-Sépulcre. Il restitue aux juifs leurs synagogues, alors fermées ou incendiées par les Croisés. Les chrétiens peuvent s’ils le souhaitent quitter les territoires qu’il a conquis et regagner sains et saufs la côte, avec une partie de leurs biens.
La troisième croisade (1189 -1192) sera conduite par les cavaleries de Frédéric I° Barberousse, Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion. Frédéric I° arrivé par voie terrestre affronte victorieusement les Seldjoukides à la bataille de Konia. Mais lors de la traversée du fleuve Cukurova il tombe et meurt noyé sous le poids de son armure.

Frédéric I° chevauchant en Anatolie
C’est son fils, Frédéric VI de Souabe qui conduira la cavalerie allemande jusqu’en Terre Sainte. Entre temps Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion ont débarqué et s’emparent de Saint Jean d’Acre. Richard Coeur de Lion décide ensuite de mettre la main sur le port de Jaffa avant de reprendre Jérusalem à Saladin. En chemin, sa cavalerie est attaquée par celle de Saladin à Arsouf en septembre 1191.

Principales charges de cavaleries aux Proche et Moyen Orients au cours des XI° XII° et XIII° siècles
Bon stratège, Richard se met en ordre de bataille et contre-attaque. Les chevaux de Saladin se montrent particulièrement vulnérables face au déluge de carreaux d’arbalètes des Francs. Chargeant dans la mêlée, Richard affronte Saladin au corps à corps et le renverse après l’avoir légèrement blessé à l’épaule, d’un coup de lance. Le Sultan parvient à se retirer avec son armée. Une paix est signée entre les deux chefs : les chrétiens conserveront leurs conquêtes et obtiendront le droit de pèlerinage dans Jérusalem. C’est la fin de la troisième croisade. Saladin « chevalier de l’islam » a fait preuve d’une loyauté universellement reconnue, au point qu’il sera question de marier la sœur de Richard, Jeanne d’Angleterre, avec Al-Adel, frère de Saladin

Richard Cœur de Lion et Saladin- Bataille d’Arsouf
La mort de Saladin en mars 1193 entraîne un affaiblissement de l’idée de djihâd. Ses héritiers, formant la dynastie des Ayyûbides, d’après le nom de leur ancêtre Ayyûb, chercheront à créer une sorte de coexistence pacifique avec les Francs, ce qui n’exclut pas des conflits militaires localisés. Mais ils vont rencontrer une opposition des milieux piétistes, sensibles aux valeurs de la guerre sainte et qui leur reprochent d’avoir cédé des territoires aux Francs.
Pendant ce temps plus au Nord en Anatolie, la victoire des turcs à la bataille de Myriokephalon en 1176, met un point final à la suprématie de la cavalerie byzantine. Les populations chrétiennes orthodoxes vont progressivement se convertir à l’islam, pour ne plus payer de Djizîa (impôt sur les non-musulmans).
La quatrième croisade (1202-1204), partie sous la bannière d’une flotte vénitienne, sera marquée par la prise de Constantinople et la fondation de l’Empire latin d’Orient.
Quant à la cinquième croisade (1217-1221) elle aura pour objectif la prise de Damiette, place forte pouvant servir d’échange contre Jérusalem
La sixième croisade (1228-1229) est engagée afin de reprendre Jérusalem. Elle sera conduite par Frédéric II, petit-fils de Frédéric Barberousse, qui va débarquer avec cinq cents chevaliers. Homme de science éduqué en Sicile car d’ascendance Hauteville de par sa mère, il parle six langues dont l’arabe. Peu enclin à confondre politique et religion, c’est un redoutable diplomate. Profitant de dissensions internes entre les Ayyoubides, il entreprend des négociations avec le sultan Malek-Kamel et obtient la rétrocession de Jérusalem.

Frédéric II et le sultan Malek
En apparence, la sixième croisade est un succès. La ville de Jérusalem est à nouveau chrétienne et Frédéric II a montré que les États latins d’Orient pouvaient se maintenir par des moyens autres que militaires. Mais Gérold de Lausanne patriarche latin de Jérusalem est mécontent des modalités de rétrocession de la ville. En effet, les clauses impliquent que les musulmans gardent leurs lieux de culte mais à la condition d’abattre les murs d’enceinte. Jérusalem serait dès lors à la merci de n’importe quel coup de force. Malgré ces griefs à l’encontre de l’empereur, le pape Grégoire IX juge malvenu ce reproche au moment où Jérusalem redevient possession chrétienne. Il adresse un blâme au patriarche.
Le coup de force ne tarde pas à se produire. En 1244, les Ayyoubides concluent un accord avec les Khwarezmiens, peuple islamisé et turquisé aux XIIe et XIIIe siècles. Balayés par les Mongols gengiskhanides ils avaient été refoulés vers le Proche-Orient. C’est alors que les Ayyoubides vont leur concéder la possession de Jérusalem qu’ils assiègent et pillent, laissant la ville en état de ruines. Le sac et le massacre qui l’accompagnent décideront le roi de France Louis IX à se croiser.
La septième croisade 1248-1254 est conduite par Louis IX. Elle aura pour objectif de reconquérir Damiette dans un premier temps puis de progresser vers Jérusalem.
La personnalité du « petit Louis de Poissy », à la chevelure blonde, arrivant au monde en 1214, s’inscrit dans le lignage de ses deux illustres grands-pères. Du côté paternel Philippe II Auguste le vainqueur de la célèbre chevauchée de Bouvines et, du côté maternel, Alphonse de Castille vainqueur de la chevauchée de Las Navas de Tolosa contre les sarrasins. Son aïeule Aliénor d’Aquitaine s’était rendue jusqu’en Castille, pour quérir la jeune princesse Blanche, qui allait devenir sa mère. Sacré roi très jeune, Louis sera initié à l’art de la guerre et imprégné des symboles de la fleur de lys dont les trois pétales évoquent la foi, la sagesse et la chevalerie.
A l’âge de vingt ans il est marié à Marguerite de Provence. Sept ans plus tard il est confronté aux prétentions de Henri III d’Angleterre qui lève une armée pour reprendre la Saintonge. Son frère Richard de Cornouailles, neveu de Richard Coeur de Lion, vient lui prêter main forte.
Louis s’étant juré « qu’on ne combattrait ses hommes que son corps ne soit avec », arrive à la tête de sa cavalerie à Taillebourg. Il doit franchir le pont de la Charente défendu par l’ennemi. Profitant d’une hésitation de Henri III, le jeune Louis IX rallie son avant garde et s’élance sur son cheval à l’épée nue. Le pont franchi, il bouscule la coalition formée par l’anglais en fuite vers Saintes et le met en grand péril. Richard voyant qu’il ne peut renverser la situation, met pied à terre et s’avance avec un simple bâton à la main. Il vient s’incliner devant le roi capétien pour demander une trêve. Louis IX rétablira la suzeraineté de son frère cadet, Alphonse de Poitiers, sur la Saintonge, ce qui entrainera le ralliement du comté de Toulouse et la paix des barons. Le royaume capétien, sorti définitivement renforcé de cet épisode, va disposer d’une ouverture sur la Méditerranée.
Au prestige des armes, il convient d’ajouter le prestige spirituel dans ce Moyen Âge tellement attaché au culte des reliques. L’empereur byzantin désargenté a mis en gage les instruments de la passion du Christ à de riches patriciens de Venise. Louis IX fait l’acquisition de la couronne d’épines, d’un morceau de la sainte croix, de l’éponge ayant étanché la soif du Christ agonisant et du fer de la lance ayant percé son cœur. Il fait appel à l’architecte Pierre de Montreuil pour concevoir l’écrin de lumière de la Sainte Chapelle, qui sublimera les reliques dans un mouvement de très grande dévotion.
Les préparatifs de la 7°croisade
L’annonce du sac de Jérusalem et le fait qu’il sorte miraculeusement d’une grave maladie, déterminent Louis IX à se croiser. Pendant quatre années il va préparer avec grand soin l’expédition de la septième croisade. Il fait envoyer à Chypre, par des navires loués aux vénitiens, d’importants avitaillements de céréales et de fourrages. Le port d’embarquement sera Aigues-Mortes où Louis IX fait construire une citadelle portuaire en bordure de lagune, aménageant canaux et roubines pour la desservir. Plusieurs croisades du XII° siècle étaient parties de Saint Gilles, port fluvio-maritime sur le Rhône et qui hébergeait le grand prieuré des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Mais au milieu du XIII° siècle la navigation entre St Gilles et la haute mer n’est plus possible, du fait de l’ensablement du Grau de la chèvre. Par ailleurs les bateaux, à cette époque, étaient de taille modeste à tirant d’eau peu profond. Ils n’emportaient que 25 chevaux environ.
Louis IX va conclure un accord avec le podestat de Gênes pour noliser des navires d’une taille encore jamais égalée. Longs de 35 mètres et larges de 10 mètres au maître bau, ils offrent un volume d’emport de 900 tonneaux. Ces nefs étaient des « bateaux ronds » à deux mats équipés de voiles latines. Elles disposaient de plusieurs ponts, dont un pont d’écuries de 100 chevaux et pouvaient accueillir 500 hommes avec leur équipement. Le contrat avec les génois stipulait que la nef était fournie avec 60 000 litres d’eau stockés dans des futailles, 8 000 litres de vins, et 370 litres d’huile, ainsi que du fourrage en quantité. Les chevaux nourris à leur place ne bougeaient pas, car suspendus à des toiles passant sous leur poitrail, pour éviter qu’ils ne se brisent les membres dans les mouvements du bateau. En guise d’exercice on les fouettait quotidiennement afin de dégourdir leurs jambes qui galopaient dans le vide.

Transport du cheval dans son box
Louis IX, on l’a vu, fera construire des grandes nefs lui permettant de projeter sa cavalerie sans escale jusqu’en Orient. Le contrat avec les génois stipulait que la nef était fournie avec 60 000 litres d’eau stockés dans des futailles, 8 000 litres de vins, et 370 litres d’huile, ainsi que fourrage et grains en quantité. Comme le tirant d’eau de ces grandes nefs était de 4,5 mètres, chacune disposait de sa « barque de cantier ». Cette barque de service, à fond plat mesurait 15 mètres de long. Propulsée par une voile latine ou six rameurs, elle pouvait contenir quatre chevaux ou une quarantaine d’hommes. Elle était remorquée derrière la nef et servait à l’embarquement et au débarquement, dans les conditions d’eaux peu profondes des deltas du Rhône et du Nil.
Le départ pour Chypre : L’effectif de la 7° croisade totalisera deux mille cinq cents chevaliers, autant d’écuyers et de valets d’armes, auxquels il faut ajouter cinq mille arbalétriers et une dizaine de milliers de fantassins. Soit vingt mille hommes et quelques huit mille chevaux répartis sur une trentaine de nefs. Louis IX prend la route avec son épouse Marguerite de Provence et ses deux frères, Robert d’Artois et Charles d’Anjou. Empruntant des sapines de la vallée du Rhône il rejoint Saint Gilles par voie fluviale. Poursuivant sur le Petit Rhône la troupe rejoint l’étang de la Marette face à la Tour Constance par le canal Bosoene. L’ost rejoindra ensuite la haute mer sur des barques de cantier en navigant par le Canal Viel, connecté à la Baie du Repaus, pour embarquer sur les nefs. C’est au moment de partir le 28 août 1248 que Louis désigne l’île de Chypre comme point de rencontre de tous les croisés. La traversée se déroule sans encombre et ils accostent en terre chypriote le 17 septembre 1248 pour y passer l’hiver.
L’Egypte : Louis IX et sa suite débarquent près de Damiette le 5 juin 1249. L’effet de surprise est total. Il prend possession de la ville et décide de poursuivre en direction du Caire. La progression est lente. Il sera à la peine pour franchir le Nil afin de s’emparer de la place forte de Mansourah, dernier verrou avant Le Caire. L’avant-garde de Robert d’Artois, lors d’une charge héroïque, réussit à pénétrer dans la citadelle. Mais elle s’y fait enfermer et massacrer avec tous ses chevaliers. Puis une violente contre-attaque met l’ost royal dans une situation désespérée. Les Francs doivent se résoudre à se retirer de la bataille, et reprennent la route vers Damiette. Le roi organise le repli des bribes de son armée, mais il est fait prisonnier avec tous ses gens, grands seigneurs et barons. L’armée croisée n’existe pratiquement plus : les blessés sont massacrés et les quelques survivants capturés. Revêtu de haillons, le teint blafard, ravagé par les fièvres qui le minent, Louis IX est emmené à Mansourah où il est emprisonné. Il sera libéré un mois plus tard contre une forte rançon acquittée par les Templiers grâce à la diligence de son épouse

Débarquement de l’ost royal à Damiette
L’intervention de Louis IX en Egypte va provoquer une révolution de palais. Les négociations entre le roi et le sultan ayyoubide à peine engagées, ce dernier est assassiné sur ordre du chef mamelouk Baybars. Il instaure pendant quelques temps une régence de fait avec la sultane Chajar al-Durr. Mais rapidement Baybars va créer sa nouvelle dynastie et se montrer beaucoup plus intransigeant que le sultan ayyoubide qu’il vient de détrôner.

Louis IX , portrait daté de 1297, année de sa canonisation
Le 6 mai 1250, Damiette est rendue aux musulmans. Louis IX passera les quatre années suivantes à réorganiser les défenses des villes côtières des Etats latins, afin qu’elles puissent se prémunir des attaques musulmanes. En avril 1254, Louis IX, informé du décès de sa mère, quitte la Terre Sainte sans avoir pu reconquérir Jérusalem, sans même avoir pu s’y rendre en simple pèlerin. Il revient dans son royaume avec Marguerite de Provence et leurs trois nouveaux enfants nés en Orient.
La prise de Bagdad par la cavalerie mongole
Le 10 janvier 1258, le petit-fils de Gengis Khan, Houlagou, fond sur l’armée du calife abbasside Al Musta’sim et s’empare de Bagdad. Le souverain est contraint d’assister aux scènes de massacres subies par son peuple et meurt piétiné par les chevaux de la cavalerie mongole après avoir été enroulé dans un tapis. Cela confirmait une croyance ancestrale selon laquelle la terre maudirait quiconque s’aviserait à faire couler le sang mongol. Une tactique héritée de Gengis Khan pour décourager toute velléité de résistance.
Bagdad à l’époque figurait parmi les plus grandes villes du monde avec Hangzou en Chine et Le Caire. Des trésors inestimables furent perdus dont la très grande bibliothèque qui sera saccagée. L’encre des manuscrits ira jusqu’à colorer les eaux du Tigre. Houlagou Kan avait été élevé dans la foi chrétienne nestorienne mais le code juridique mongol lui interdisait d’être baptisé. Louis IX avait projeté de créer une alliance franco-mongole, tentative qui échouera

Prise de Bagdad par les Mongols
Deux années plus tard au milieu de l’année 1260, l’armée mongole de Hulagou Khan fit route vers Damas. Aussitôt la cavalerie mamelouk conduite par Baybarsse dirigea vers la Syrie. Elle attirera les Mongols dans la vallée de Jezréel à Ain Djalout. Piégés dans la nasse d’un défilé, les cavaliers légers des steppes d’Asie ne pourront s’enfuir et seront décimés. L’empire mongol sera stoppé net dans sa progression vers l’Ouest en subissant une défaite historique le 3 septembre 1260. Baybars engagera des mesures de rétorsions contre certains royaumes latins qui s’étaient ralliés à la cause mongole.
Le 10 avril 1262, Louis IX recevait une lettre du khan mogol Hulagu qui lui demandait de l’aide. Se présentant comme le « destructeur des perfides nations sarrasines », il insistait sur sa bienveillance à l’égard des chrétiens dans son empire. Il lui annonçait les avoir tous libérés de prison ou de l’esclavage dans les pays qu’il avait soumis. N’ayant pas de navire, il demandait au roi de France de lui en prêter afin d’attaquer l’Égypte, promettant de restituer le royaume de Jérusalem aux chrétiens. L’ambassadeur, porteur du message, avait insisté sur le fait que son souverain était empereur du monde entier. Il fut redirigé vers Rome.
La huitième croisade de 1270 Est-ce cette requête qui conduira Louis IX à s’engager dans la 8° croisade ? Toujours est-il qu’il repart en expédition en 1270. Il s’arrête à Tunis où il compte christianiser ce territoire et s’en servir de base arrière pour reconquérir Damiette. Mais à Carthage, Louis IX va succomber aux fièvres, ce qui déstabilise profondément l’expédition et retarde les prises de décisions. La flotte appareillera pour se regrouper en Sicile à Trapani, avant de continuer vers l‘Orient. A cette époque la navigation en Méditerranée n’intervient qu’en période estivale pour éviter les tempêtes. Or nous sommes déjà en fin d’année. Dans la première semaine de décembre juste avant de rejoindre Trapani, une violente tempête de trois jours va envoyer par le fond plus d’une soixantaine de vaisseaux dont 18 grandes nefs. Chevaliers et montures furent engloutis, événement tragique qui mit fin aux croisades. Les places fortes des États latins d’Orient furent systématiquement démantelées les unes après les autres, par la cavalerie de Baybars.
Conclusion
La grande épopée équestre médiévale en Méditerranée, qui a vu s’affronter plusieurs mondes, demeure un souvenir douloureux. Imprégnés de ferveur religieuse, les monarques et sultans se devaient d’être les ambassadeurs de tout ce que l’esprit de la chevalerie portait de bon. Mais c’est le sentiment de défiance entre les deux rives de la Méditerranée qui va prévaloir.
En dépit des antagonismes et des affrontements, cette période connaît un enrichissement mutuel dans le commerce, les sciences et la théologie. L’Europe en sera bénéficiaire, elle était en retard sur un Orient héritier des grandes civilisations de Mésopotamie et d’Egypte. Cette période engendrera le développement et la prospérité des républiques italiennes comme Amalfi, Gênes, Pise et Venise, qui en tireront des profits considérables. Tel ne fut pas le cas pour la France. Mais sans le formidable mouvement spirituel engendré pour rejoindre le Saint Sépulcre à Jérusalem, le royaume capétien aurait-il pu résoudre les troubles créés par les Albigeois, ou calmer les prétentions des Plantagenet ? Aurait-il légué des ouvrages aussi prestigieux que les cathédrales, la Sainte Chapelle ou encore les citadelles du Mont Saint Michel et d’Aigues-Mortes ?
En Orient le sultanat mamelouk réussira à établir une dynastie influente et durable. Il renforcera sa légitimité en recueillant les derniers Abbassides, chassés de Bagdad par les Mongols. Ce sera une caution religieuse d’autant plus forte, que Baybars va récupérer la suzeraineté sur les lieux saints de l’islam : La Mecque et Médine. Cette légitimité religieuse sera importante pour les Arabes, majoritaires dans le sultanat mamelouk. En repoussant l’attaque mongole et en luttant contre les Francs, les mamelouks se sont posés en défenseurs de l’islam sunnite de langue arabe. La cavalerie du successeur de Baybars se fera un point d’honneur à mettre le siège sur Saint Jean D’Acre, dernière place forte des templiers qui tombera le 18 mai 1291. Dans l’empressement, ils vont se ruer sur les embarcations vénitiennes. Pleines, elles s’échouent sur les rivages. C’est ainsi que se terminera l’épopée des croisades européennes.
Les deux croisades de Louis IX se soldèrent par des échecs cuisants sur le plan militaire, alors même qu’elles donnèrent lieu à une extraordinaire avancée en termes de projection maritime sur longue distance. Cet incroyable défi lancé à la mer impressionna la société musulmane dont la foi était ancrée entre le désert et le ciel. Il sera à l’origine, deux siècles plus tard, de l’arrivée aux Amériques des chevaux espagnols, sur les pontons des caravelles de Christophe Colomb et de Hemân Cortés. Une autre épopée de cavalerie allait s’écrire sur un continent où le cheval était jusqu’alors inconnu.
1– Lors du pillage de Constantinople en 1204, ce quadrige fut transféré au-dessus de la porte centrale de la basilique Saint Marc. En 1798 Napoléon Bonaparte le rapporta comme trésor de guerre, pour le placer sur l’arc de triomphe du Carrousel du Louvre. Il fut restitué à Venise en 1815 et remplacé par un moulage d’empreinte.
2 – A l’époque mamelouke, il y eut un véritable engouement de la part des oulémas pour le cheval arabe. Véritable symbole du djihad, le cheval représentait par excellence, l’instrument des conquêtes arabo-musulmanes.
3 – Tikrit fut également le lieu d’origine de Saddam Hussein, le dictateur qui se rêvait en Saladin moderne.
Merci Bruno pour cette mise en réseau si rapide, malgré les difficultés de transfer du fichier. Le lecteur aura le confort d’un texte aéré , agrémenté d’images parfaitement acessibles.
Encore Merci
Bernard
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