Article de Bernard Aubert (08/10/2019)
La Baie d’Aigues-Mortes
A cheval sur les communes d’Aigues-Mortes, Le Grau du Roi et La Grande Motte, l’étang du Ponant a été creusé par dragage sur 280 hectares et 4 mètres de profondeur. Cet espace a non seulement fourni les sédiments nécessaires à l’aménagement du socle de La Grande Motte, mais il avait aussi pour vocation de sécuriser les caprices du Vidourle. Ses contours reprennent d’ailleurs ceux de l’ancienne Baie du Repos utilisée comme avant-port au 13° siècle pour les besoins de la citadelle d’Aigues-Mortes. Les recherches conduites par les géologues et les historiens spécialistes de cartes-portulans, permettent d’avoir une idée assez précise de ce que pouvait être la configuration côtière de notre espace littoral il y a 800 ans (voir Fig 1).
Aujourd’hui la pression des médias nous rappelle la fragilité de nos écosystèmes littoraux exposés aux effets du changement climatique. Certains esprits ne manquent pas d’ironiser en parlant de phénomènes de mode. Pourtant s’il est un secteur où les enjeux sont à prendre en compte, c’est celui de notre patrimoine côtier: ses dunes, ses plages, ses infrastructures. La question qui se pose est de savoir comment évolue notre littoral hérité de la Mission Racine. A la lumière des évènements récents ou plus lointains, peut-on esquisser une vision du futur en notre 21° siècle fait d’emballements et de pesanteurs ?
Origine de l’approvisionnement
Notre précieux capital de sable blond provient des sédiments charriés par les fleuves depuis 6 000 ans. Au 13° siècle la Baie du Repos recevait encore les apports d’un bras du Rhône et son comblement posait des problèmes logistiques pour l’affrètement des nefs partant vers l’Orient. La Baie s’est progressivement colmatée et, à partir du 16° siècle, la flèche sableuse du Boucanet s’est refermée. La ville d’Aigues-Mortes a été reliée à la mer par un chenal maritime à l’extrémité duquel s’est développé le port de pêche du Grau du Roi. Le Vidourle a pris le relai du Rhône pour subvenir à l’apport de sédiments, mais il occasionnait de fréquentes inondations à son débouché coté Gard et coté Hérault. Le projet de la Mission Racine qui incluait la création des ports de plaisance de La Grande Motte, Port Camargue et Port Grégau n’aurait pu voir le jour sans l’aménagement d’un dispositif écrêteur de crues. Ce qui fut réalisé en 1966 avec le creusement de l’Etang du Ponant et du Repausset (voir Fig 2).
Le dispositif a joué son rôle puisque, sur la frange littorale concernée, aucune inondation n’a été à déplorer au cours des 53 dernières années malgré plusieurs crues paroxysmiques du Vidourle.
En réalité notre approvisionnement de sable, abondant tout au long du dernier millénaire, s’est considérablement amoindri depuis environ un siècle. Les ouvrages d’endiguements et les barrages de retenue ont fait passer l’apport sédimentaire du Rhône de 35 millions de m3 par an, à 8 millions de m3 seulement. Pour le Vidourle l’apport annuel de charges solides est aujourd’hui estimé à 1/2 millions de m3 qui transitent pour l’essentiel dans l’étang du Ponant. Autant dire que la période d’abondance de sables est close. Jusqu’au 19° siècle tout notre linéaire côtier entre Palavas et l’Espiguette était en engraissement. Aujourd’hui 60% de ce linéaire est soumis à l’érosion, 20% sont en situation d’équilibre et 15% seulement en phase d’engraissement.
Nos réserves de sables dunaires et de sables immergés
Les dunes:
Repris par les vents et les courants marins, les dépôts de sables forment un écosystème de dunes où figurent en bord de mer les dunes vives mobiles, puis en haut de plage les dunes bordières colonisées par la végétation pionnière qu’il faut protéger de ganivelles, enfin plus à l’intérieur les dunes fossiles boisées où prospère le Pin pignon (Fig3).
Ces massifs jouent un rôle essentiel du point de vue de la qualité de vie. En effet en première ligne de rivage, ils constituent une barrière naturelle contre les intrusions marines. En zones urbanisées d’arrière-plan, les boisements protègent les résidences des excès du vent et du soleil. Par exemple les pinèdes du quartier Golf-Ponant de La Grande Motte, celles du Boucanet ou encore celles du phare de l’Espiguette apportent aux promeneurs, cyclistes ou cavaliers les aménités qui, ajoutées à la finesse du sable blond de nos plages, valorisent grandement notre offre touristique. Les dunes de l’Espiguette de type sahariennes en forme de quart de croissant, peuvent dépasser 10 mètres de hauteur et sont un exemple unique dans toute la côte méditerranéenne française. Elles ont été formées sous l’effet combiné de la mer et du vent.
Les sables immergés:
Bien qu’entre Palavas et les Baronnets notre linéaire de côte ne soit que d’une quarantaine de kilomètres, la formation de courants parallèles au rivage génère des transports de sédiments connus sous le nom de transit littoral (voir Fig.4)
.Fig.4 – Transit littoral des sédiments sableux
La direction que va prendre ce transit est fonction de l’angle d’incidence selon lequel la houle atteint le galbe de la baie. Il en résulte diverses conséquences. D’abord le sens de la dérive peut être inversé d’un endroit du littoral à l’autre et, entre deux dérives opposées, il y a obligatoirement une zone d’équilibre où pertes et gains se compensent. Il faut donc s’attendre à ce que la réserve de sables immergés ne soit pas uniformément répartie. Et comme le réapprovisionnement général de sable est tari, les zones érodées se vident au profit des celles en engraissement.
Dans le massif de l’Espiguette, le secteur très vulnérable des Baronnets est soumis à une vitesse de recul de 13 mètres par an alors qu’à l’ouest au niveau de la digue d’arrêt des sables de Port Camargue construite en 1970, une imposante flèche de sable contourne désormais la digue et menace de colmater le chenal Sud. Le sable perdu par érosion à l’Est de la zone vient alimenter la pointe de l’Espiguette avec des volumes annuels de 250 000 m3. Les clichés présentés en Fig 5 et 6, ont été pris lors d’un vol effectué le 26 juin 2019. Fig.5 – Erosion à l’Est des Baronnets
Fig. 6 – Flèche face au chenal
Le littoral de La Grande Motte qui se trouve en zone d’équilibre, n’a pas connu d’évolution au cours du dernier millénaire.
Sur les Fig. 7 et 8 apparaît l’exutoire de la passe des Abîmes à 30 années d’intervalle. Fig 7 Fig.8
Sans la construction d’une digue en sortie Ouest puis d’une seconde en sortie Est, l’ensablement aurait fermé la passe, et la qualité des eaux dans l’étang du Ponant se serait rapidement dégradée. Depuis quelque temps en amont du pont des Abîmes une flèche de sable fréquentée par les baigneurs se forme face à la berge gardoise, alors que sur la berge opposée, l’affouillement entre la pile du pont et la digue d’enrochement atteint près de 10 mètres de profondeur, ce qui justifie la vigilance par diagnostic établi par faisceau laser Lidar.
Les Fig 9, 10 et 11 montrent le Sud de la presqu’île du Ponant en juillet 2019.
Fig. 9 – passe des abîmes
Fig. 10 – Baignade sur flèche
Fig 11 – Pin en érosion
La leçon que l’on peut tirer de ces observations est que même en zone d’équilibre sédimentaire, sur de courtes distances et dans un laps de temps de quelques mois seulement des phénomènes d’érosion ou de colmatage peuvent intervenir et nécessiter des interventions préventives. Mais globalement, l’histoire récente et ancienne montre que les risques et enjeux sont moindres à La Grande Motte que vers le littoral gardois d’une part, ou vers Carnon Palavas d’autre part où des rechargements de sables ont été tentés sans grand succès.
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En conclusion, tous ces éléments justifient une vigilance d’observation et d’écoute ouverte aux jeunes générations qui prendront la relève.