NDLR : Dans les lignes ci-dessous, notre président Guy Puech a bien voulu évoquer des faits historiques qui ont concerné sa famille. Vous pourrez y lire comment et pourquoi :
– un de ses très lointains ancêtres (21ème génération), seigneur de Sommières, s »est vu confisquer ses terres par Louis IX .
– un ancêtre plus récent (4ème génération) a pu se prononcer sur la position de la mer par rapport aux remparts d’Aigues-Mortes à la fin du XIIIème siècle .

Guy Puech

L’acquisition par Saint Louis du tènement des Eaux Mortes.

En 1248 la croisade contre les Albigeois est encore toute proche.

Déclenchée en 1209 par le pape Innocent III pour lutter contre l’hérésie cathare, elle se termine en 1229 par le traité de Meaux, signé par Blanche de Castille pendant la minorité de son fils Louis IX.

C’est un échec religieux ; les cathares sont toujours là ; le pape en confie alors le problème au frère Dominique (le futur saint Dominique), puis à l’Inquisition. Mais c’est aussi une conquête militaire et politique : c’est la prise de possession du Languedoc (sauf Montpellier qui est espagnole) par les capétiens ; et c’est la fin des seigneurs locaux, qui, comme leurs suzerains, les comtes de Toulouse, ont tous pris les armes, peu ou prou, contre la croisade. Car au-delà de tout problème religieux, les seigneurs locaux supportaient mal (on les comprend) l’invasion de leurs terres et les ravages causés par l’armée de la croisade, qui était en fait une armée des seigneurs du Nord.

En 1248 Saint Louis arrive donc à Aigues-Mortes pour l’embarquement de la VIIème Croisade. Il convoque le seigneur de Sommières qui est de la famille des Bermond d’Anduze. Son sort à l’issue de la croisade contre les Albigeois n’est toujours pas réglé. Il est certainement très inquiet lorsqu’il se rend le 25 août à la convocation du roi. De fait Saint Louis lui confisque Sommières qui devient bien de la Couronne ; car Sommières est à l’époque la première place forte importante en amont d’Aigues-Mortes sur le Vidourle, donc nécessaire à la protection du futur port vers l’intérieur ; La grosse tour Bermond, qui domine toujours la ville, témoigne de l’importance des fortifications. Est-ce par souci de conciliation ? Saint Louis dédommage (si l’on peut dire) Bermond-Sommières par la petite seigneurie du Caylar, dans le diocèse de Lodève.

Avec la ville forte de Sommières, Saint Louis a obtenu de vastes terrains aux alentours, ce qui lui permet de régulariser l’acquisition du tènement des Eaux-Mortes nécessaire à la construction d’Aigues-Mortes et de son port. Il fait un échange avec l’Abbé de Psalmody : le tènement des Eaux Mortes contre une grande « condamine » à Sommières, des terrains maraichers situés entre le Vidourle et la route d’Alès, terrains qui étaient portés autrefois au cadastre sous le nom de l’Abbaye.

Saint Louis était bien un vrai capétien.

Je voudrais aussi vous parler d’une opération étonnement similaire qui intéresse Montpellier.

Le seigneur de Sauve, également un Bermond, fut dépossédé en 1243 de sa seigneurie au bénéfice des capétiens, ce qui permettra en 1293 à Philippe le Bel de procéder à un échange avec l’évêque de Maguelone : la seigneurie de Sauve contre Montpelliéret. Le reste de Montpellier sera vendu en 1349 par Jacques III d’Aragon à Philippe IV de Valois.

A partir de 1248 Aigues-Mortes a donc dépendu directement de la Couronne, comme de nombreuses villes de la région à la suite de la croisade contre les Albigeois : Sommières, Sauve, Lunel, plus tard Montpellier, pour n’en citer que quelques-unes.

Les capétiens se sont bien gardés de rétablir l’échelon intermédiaire d’un pouvoir féodal. Ces villes étaient gérées de façon démocratique par des consuls, syndics, bayles, qui étaient élus. Le médiéviste Le Goff a pu dire que la démocratie était née au moyen âge dans ces municipalités. Le roi nommait un gouverneur pour le représenter ; il avait un rôle surtout militaire. A Aigues-Mortes, le « Logis du Gouverneur », qui reçoit les visiteurs et accueille le Centre des Monuments Historiques, est situé aux pieds du donjon, la Tour de Constance.

L’évocation de ces problèmes me suggère une observation et une question :

L’observation: l’évènement historique majeur au moyen-âge dans notre région me parait être la croisade contre les Albigeois. Elle nous a fait basculer, on peut le regretter ou s’en réjouir, de la prédominance méditerranéenne (Barcelone) à la prédominance capétienne, nordique (Paris). Elle a réorienté, jusqu’à nos jours, le cours de l’histoire,…et l’histoire d’Aigues-Mortes

La question est celle qui s’est posée à Saint Louis, le premier capétien à bénéficier de ce rééquilibrage. Ayant obtenu un accès à la Méditerranée, il se devait d’y avoir son port personnel. Pourquoi l’a-t’il créé à Aigues-Mortes, alors qu’était bien connue la violence des vidourlades qui bouleversent régulièrement l’équilibre hydraulique des étangs littoraux ?

Pour clore ce chapitre, je dois avoir l’honnêteté de vous dire que je me suis intéressé à ces évènements médiévaux parce que le malheureux Bermond-Sommières, qui s’est retrouvé sur les cailloux du Larzac, est l’un de mes ancêtres, à la 21ème génération.

Sources :

« Histoire des cathares » Michel Roquebert 1999.
« Etude sur la famille féodale d’Anduze et Sauve du milieu du Xème siècle au milieu du XIIIème siècle » Lina Malbos. Mémoires de l’Académie de Nîmes. 1980.

Aigues-Mortes, un port à l’intérieur des terres.

Je vais vous parler encore d’un de mes ancêtres, mais beaucoup plus proche de nous, un ancêtre à la 4ème génération seulement.

Il s’agit du docteur Marc Dax, né en 1770 à Tarascon sur Ariège. Après Toulouse, il poursuit ses études à Montpellier, malgré les bouleversements de la Révolution, car il veut être médecin. Et il le sera de 1797 à 1800 à Aigues-Mortes, ensuite à Sommières. Il y découvrira la localisation cérébrale du langage en soignant des rescapés des guerres napoléoniennes, 25 ans avant le professeur parisien Paul Broca. (et c’est la zone dite de Broca qui est bien connue aujourd’hui des neurologues).

En 1809 Marc Dax fait une communication à l’Académie du Gard (aujourd’hui Académie de Nîmes) intitulée « Recherches sur la position respective de la Méditerranée et de la ville d’Aigues-Mortes à la fin du XIIIème siècle ». Cette communication est résumée dans la notice des travaux de la dite Académie pendant l’année 1809.

Marc Dax fut l’un des premiers, bien avant Charles Lenthéric (« Les villes mortes du golfe de Lyon » 1875) à combattre l’idée, qui a prévalu jusqu’au début du XXème siècle, selon laquelle le port et les remparts d’Aigues-Mortes auraient été construits en bord de mer. Il estimait que la Méditerranée, du temps de Saint Louis, « était à la même distance d’Aigues-Mortes qu’elle en est aujourd’hui ». Il se basait sur l’observation des lieux (ruines de bâtiments anciens entre la ville et le littoral) et sur les archives de la commune d’Aigues-Mortes. Je les résume :

-en 1363, sous le règne de Jean II le Bon, le sénéchal de Beaucaire fit recreuser « le canal nécessaire au commerce d’Aigues-Mortes », l’ancien grau du Boucanet ayant été obstrué, « ce qui empêchait l’arrivée des vaisseaux marchants en cette ville »,

-en 1434, des lettres de Charles VII font connaitre « qu’Aigues-Mortes était toute entourée de marécages,…. et nomment un étang situé à mi-chemin de la ville à la mer »,

-le 13 mars 1530, selon une procédure du juge-mage en la sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes, il est dit que « le rivage est à une lieue de la ville »,

-en 1547, des lettres patentes de Henri II confirment les privilèges accordés par Saint Louis à Aigues-Mortes. Il y est dit : « le feu roi Saint Louis, considérant qu’Aigues-Mortes était toute environnée de marais,…. ».

Origine de noms.

L’Abbaye de Psalmody.
Cette dénomination nous rappelle-telle les supposées psalmodies des moines ?….c’est assez simpliste. L’abbaye occupe la première grosse levée de terre en amont d’Aigues-Mortes sur la route du sel vers les Cévennes. Il y avait en ce lieu un poste de la gabelle ; on y mesurait le sel ; et la mesure du sel se dit en latin sal modius. L’origine du nom parait évidente.

Je tiens cette origine du docteur Soubeyran, homme de grande culture, qui était médecin à Saint Laurent d’Aigouze où j’ai passé de nombreux congés d’étudiant.

Le col des treize vents
Je peux vous signaler une erreur de nom de même origine : le col des treize vents dans l’Espinouse ; ce qui a donné le théâtre des treize vents à Montpellier. Les paysans ont indiqué aux agents du cadastre du XIXème siècle le nom du col en patois : col des « très » vents. L’occitan « très » (trois) est devenu treize en français.

La tour de Constance.
Pourquoi la « Grosse forte tour », puis la « Tour du seigneur Roi » est-elle appelée tour de Constance depuis le XIVème siècle ?

C’est probablement, selon plusieurs historiens, en hommage à Constance de France, fille de Louis VI le Gros, qui a épousé en 1154 Raimond V de Toulouse. La princesse de France était devenue toulousaine par son mariage ; ce mariage représentait un lien très fort entre capétiens et languedociens, lien qu’il fallait conforter après toutes les séquelles laissées par la croisade contre les Albigeois.

Guy Puech.    Décembre 2016