DOSSIER DE DEMANDE D’OPERATION ARCHEOLOGIQUE

Campagne 2015

Région : LANGUEDOC ROUSSILLON Département : GARD Commune : AIGUES-MORTES

Nature de l’opération : Projet collectif de recherche

Responsable scientifique : Tony REY

INTRODUCTION

En 1240, Louis IX lance une grande campagne de travaux non loin du littoral méditerranéen, à proximité d’un embarcadère rudimentaire que les textes mentionnent depuis 1231 environ. La zone est encore presque vide d’hommes, en dehors des moines de l’abbaye de Psalmodi et de quelques pêcheurs qui exploitent la lagune. Sur un cordon littoral ancien, protégé de la mer par un réseau de marais, le roi fait ériger une puissante tour ronde, la « grosse tour du roi », emblème de la dynastie. Son objectif est multiple : marquer de l’empreinte royale l’étroite fenêtre dont dispose le royaume de France sur la mer, entre les possessions du Saint Empire Romain Germanique qui englobent la Camargue à l’est, et celles du roi d’Aragon, qui s’avancent au-delà de Montpellier jusqu’aux limites de l’étang de Mauguio, à l’ouest ; enchâsser un coin au milieu des terres du comte de Toulouse, qui demeure suspect dans ces derniers épisodes de la croisade contre les Albigeois ; ouvrir enfin son domaine sur la Méditerranée, une mer qui connaît un essor économique formidable en ce début du XIIIe siècle, essor que le mouvement des croisades ne peut qu’accélérer.

Alors que le chantier des constructions royales avance rapidement, mettant au défi une région plutôt hostile (les marécages sont si présents dans le paysage qu’ils ont donné leur nom à la cité du roi, la « ville des eaux mortes »), Louis IX cherche à attirer et fixer une population qu’il veut nombreuse et particulièrement favorisée, en promulguant, dès 1246, une charte de privilèges pour la ville et ses habitants d’une étonnante modernité : d’emblée la ville sera dotée d’un consulat, cadre administratif qui est partout ailleurs le fruit d’une longue lutte menée par le corps municipal.

Avant même de s’embarquer pour la Terre Sainte dans le port qu’il a restauré à proximité de la ville, Louis IX poursuit l’aménagement de cet espace en plaçant la ville au centre d’un réseau de voies de communication : profitant d’anciens cours d’eau atterris ou perçant de nouvelles voies artificielles, le roi place sa cité sur un axe fluvial entre la Provence et le Languedoc : Aigues-Mortes, port méditerranéen, devient étape rhodanienne, exutoire naturel des foires de Champagne. Vers le nord et par la route, il fait du site l’avant port de la cité marchande de Nîmes.

La ville surgie en quelques décennies du néant devient un maillon vite incontournable de ces échanges qui animent le bassin de la Méditerranée. Les croisades sont des évènements qui frappent l’imagination par l’ampleur des forces qu’elles mobilisent. Mais leur éclat masque souvent la multitude d’échanges commerciaux et humains, la transmission de connaissances, de techniques et de savoir faire qui font de cette mer un creuset où s’élabore sans cesse la civilisation européenne, nourrie par les apports orientaux et extrême orientaux dont le Monde musulman se fait le promoteur.

Une population aux origines variées vient rapidement s’établir au pied du château royal. Pour la protéger aussi bien d’éventuelles attaques ennemies que des assauts des vents qui sur cette zone parfaitement plate déplace et accumule les sables, Louis IX lance en 1266 le projet de ceindre sa ville d’épaisses murailles. Mais il n’en connaîtra pas la réalisation : revenu à Aigues-Mortes pour s’embarquer une nouvelle fois pour la croisade, il meurt à Tunis en août 1270.

Ses successeurs, Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, entre 1272 et l’extrême fin du XIIIe siècle, dotent la place de ses murs qui n’ont subis depuis que d’infimes modifications. Une trentaine d’années sont nécessaires pour ériger les 1643 mètres de fortification, ouvertes par dix portes et défendues, aux angles et sur les courtines, par cinq tours. L’ouvrage est d’autant plus colossal que l’ensemble des matériaux qui le constitue a été importé sur place, parfois de loin et repose sur des pilotis.

Philippe III donne même une nouvelle dimension à son port. Par de nouveaux travaux sur le littoral, il permet aux navires de mer d’approcher davantage les murs de la ville : c’est la mise en place de la Peyrade, en face de l’actuel mas du Môle. Enfin, en 1278, il fait du port royal l’unique porte d’entrée et de sortie des marchandises qui transitent par le royaume. Le destin commercial de la ville est scellé, puisque ce privilège devait se maintenir jusqu’à la fin du XVe siècle.

Mais la volonté d’une monarchie, aussi conquérante fut-elle dans la restauration de son autorité, pouvait-elle s’affranchir des lois de la nature ? Aigues-Mortes, expression de cette volonté, fut très tôt la victime des alluvionnements fluvio-marins. Très vite le port s’est ensablé, interrompant parfois la circulation des gros navires de mer. Et c’est un effort et un soutien constant des Capétiens qui ont permis au port et à la cité de survivre. Dès la fin du XIIIe siècle, le développement des salines, non loin de la ville, a offert aux Aigues-mortais une nouvelle source de revenus.

L’histoire d’Aigues-Mortes ne s’achève pas avec la dynastie capétienne. Bien que parfois délaissée sans jamais être réellement abandonnée par la faveur royale, la position de la ville et son caractère particulièrement stratégique, lui conservaient un rôle à jouer sur l’échiquier politique.

La tradition est tenace qui voudrait que Louis IX ayant à fonder le port d’Aigues-Mortes se soit installé sur le littoral. Cependant le dossier des informations qui milite pour le contraire est des plus importants et fort parlant. L’Étang de l’Abbé, constitué alors de l’actuel Étang de la Ville prolongé par celui de la Marette, figure dès l’origine dans les possessions de l’abbaye de Psalmodi, et les abbés de celle-ci vont immédiatement après l’installation du roi défendre leur bien contre les prétentions des nouveaux habitants d’Aigues-Mortes.

Dès le XIIe siècle, les chevaliers de l’ordre du Temple sont possessionnés sur une insula Stallis (L’île de Stell, dont on peut aisément retrouver les vestiges dans le nom du domaine de Listel), isolée du reste du cordon littoral placé au sud de l’Étang de l’Abbé. Cette île est séparée des autres zones émergées par le fameux gradus Caprae, le Grau de la Chèvre. C’est le cordon littoral situé au nord de cette île que les hommes de Philippe III perceront pour donner aux navires de mer un accès plus commode que le Canal Viel pour pénétrer jusqu’au débarcadère situé aux pieds de la ville : c’est la Peyrade, môle bâti évoquant la construction de l’enceinte de la cité et dont les vestiges sont encore visibles tout près de l’accès au domaine de Listel depuis la N 579 qui relie Aigues-Mortes au Grau-du-roi.

Qu’en est-il du dernier cordon littoral que certains auteurs ont vu jaillir des limbes en quelques années seulement ?

Pour les marchands et marins du XIIIe siècle qui s’expriment au long des procès qui les opposent à la taxe du denier par livre instaurée par Louis IX en 1266 et qui dénoncent souvent les mauvaises conditions de ce port devenu entre temps passage obligé, il est incontestable que le port d’Aigues-Mortes s’inscrit dans un espace compris entre le lieu-dit Coutiuis (la Motte de Coitieux, qui apparaît encore dans quelques textes du XVIIIe siècle, et que l’on peut placer, au nord de la Grande Motte, sur le littoral de l’Étang de Mauguio – ce lieu est retenu parce qu’il est alors nettement perceptible depuis la mer) et la Spighetta, la Pointe de l’Espiguette (située au-delà du Grau de la Chèvre, et donc dans les terres camarguaise du Saint Empire). Faut-il croire pour autant que l’ensemble du cordon littoral actuel n’existait pas ? Si l’on suit les conseils pratiques livrés dans les portulans, certes légèrement postérieurs, pour accéder au port d’Aigues-Mortes, il faut d’abord contourner un banc de rocher situé au large, entre le Grau du Roi et la Grande Motte, pour entrer dans le « Repos » (Repaus, Repausset Levant et Ponant, plus tard), d’Aigues-Mortes qui est d’une profondeur convenable aux navires des meilleurs tonnages et qui place les commerçants et leurs biens à l’abri de tempêtes qui, si elles sont assez rares, n’en sont pas moins violentes et périlleuses pour les marchandises. Pour ces navigateurs, il semblerait donc que l’anse est bien protégée des vents violents par la présence de bancs de sable suffisamment importants pour briser l’action des vagues en fureur. Un texte de 1302 vient en quelque sorte confirmer cette hypothèse. A cette date, sont mentionnées au-delà du Môle, des Seccas, autrement des terres émergées, déjà peuplées de tamaris, sur lesquelles les bergers peuvent conduire leurs troupeaux pour paître. Nous avons donc là, une sorte d’évidence que le dernier cordon littoral est déjà dans un mécanisme de colmatage plutôt avancé pour que des hommes l’utilisent comme lieu de pâturage.

Les textes anciens ne disent rien de plus de l’état du littoral et certaines des conclusions avancées par J. Pagézy à la fin du XIXe siècle doivent être aujourd’hui repoussées. Il n’en reste pas moins que si les textes sont muets, la recherche archéologique permettra sans doute de comprendre et d’appréhender le fonctionnement de ce port au XIIIe siècle. Les habitués du lieu à cette époque là s’entendent à reconnaître les inconvénients de ce port : les transbordements sont nombreux pour conduire les marchandises dans le royaume et si les navires de haute mer peuvent encore fréquenter le Repaus d’Aigues-Mortes, il faut recourir au service des conducteurs de caupols, ces navires à fond plat qui règnent en maître sur les roubines et les marais, pour convoyer les marchandises jusqu’à la cité, avec toutes les dépenses qui en dépendent. Il serait d’une importance capitale de reconnaitre le littoral des étangs (les actuels étangs du Ponant, de Repausset, et de la Ville) à cette époque pour essayer de retrouver les traces de pontons ou d’autres lieux d’accostage. Des vestiges de cet ordre ont été aperçus, plus qu’étudiés, en 1834, puis apparemment perdus. Leur réinvention et leur étude à nouveau frais avec les techniques dont nous disposons aujourd’hui livrerait sans doute une heureuse moisson d’informations, car il est évident que ces restes ne sont pas isolés et pourraient nous renseigner sur les installations portuaires (présence d’occupation humaine, entrepôts des marchandises…).

Une meilleure connaissance de l’histoire de ces espaces pourrait conduire à une nouvelle mise en valeur du territoire que Louis IX, dont nous fêterons, le 25 avril 1214, le huit centième anniversaire de la naissance, a organisé pour ses croisades et pour le développement économique de la France.

  1. Historique des recherches

La ville médiévale d’Aigues-Mortes, fondation royale du XIIIe siècle, a fait l’objet de nombreuses publications dont l’une des l’une des plus récentes, brochure historique succincte mais très documentée, a été éditée par les éditions du Patrimoine (Bellet et Patrick Florençon, 2001).

Plusieurs découvertes ont été réalisées au cours du XIXe siècle à proximité d’Aigues-Mortes comme les pierres tombales et épitaphes, attribuées au XIIIe siècle (lieu dit les Tombes), les vestiges du puissant mur de soutènement de la Peyrade, interprété comme un môle, vestige du port médiéval, un sarcophage paléochrétien décoré d’un monogramme du Christ (mas Trouchaud) et d’autres découvertes fortuites comme le trésor de monnaies enfouies dans une amphore toujours à proximité du mas Trouchaud.

D’autres vestiges ont été recensés à partir de 1987 (L’Homer, 1987) mais une compréhension d’ensemble n’a été rendue possible qu’à partir de la réalisation des  cartes géologiques d’Arles puis du Grau-du-Roi par le géologue Alain l’Homer (1987 et 1993). Malgré ce travail considérable et rigoureux, de nombreuses extrapolations et erreurs de localisation ont été faites. De récents travaux géoarchéologiques se sont attachés à combler certaines de ces lacunes notamment sur la chronologie des cordons littoraux et des chenaux rhodaniens identifiés en Petite Camargue (Rey, 2006). En dépit de ces recherches qui permirent d’affiner les modalités de formation de cette partie du delta du Rhône, des hiatus chronologiques demeurent ainsi qu’une connaissance à haute résolution spatiale et temporelle du littoral au XIIIe siècle.

En parallèle aux travaux géomorphologiques, les recherches archéologiques prirent un nouvel élan en 2004, lorsque l’équipe de recherche dirigée par Claude Raynaud (1999) a procédé à de vastes prospections, ratissage du terrain permettant d’observer, en surface, des vestiges d’occupation ancienne. Les éléments les plus marquants se trouvent près du Mas Bastide, près de la Grande Motte, sur le premier cordon littoral. Le bilan des découvertes, s’il s’avère riche en données, pose encore aujourd’hui de nombreuses questions sur l’organisation et les fonctions des différents sites identifiés dont les réponses passeront par de véritables fouilles.

  1. Nature, période et importance scientifique du site

La recherche géoarchéologique porte sur deux ports médiévaux, le port  « primitif » ou avant-port d’Aigues-Mortes probablement fondé à la fin du XIIe siècle et le port principal de La Ville situé aux portes de la cité en activité au début du XIIIe siècle. L’activité des deux ports déclinera au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle en raison des dynamiques environnementales. Compte tenu des problèmes de colmatages sédimentaires et d’accès à la mer, Philippe Le Bel lancera une série de travaux pour créer une nouvelle structure portuaire plus au sud.

Les deux ports médiévaux fondés sous Louis IX sont des éléments essentiels dans d’ancrage spatial et temporel de la cité d’Aigues-Mortes, le choix de leur localisation impactera durablement l’organisation et la dynamique du territoire.

Les embarcadères accueilleront des milliers d’hommes, des chevaux et du matériel pour réaliser les deux croisades de Louis IX. Alors que ces ports ont eu une importance dans la construction territoriale, il existe très peu d’informations sur les structures portuaires (le contenant) et les bassins (le contenu caractérisé par le volume en eau et le volume sédimentaire), tout comme sur la morphologie du littoral à cette période.

  1. Axe 1 : les ports médiévaux d’Aigues-Mortes (Tony Rey – UM3/GRED)

3.1. La démarche géoarchéologique

L’étude géoarchéologique des ports médiévaux d’Aigues-Mortes n’a jamais été entreprise. La mise en œuvre d’une telle approche permet dans la plupart des cas, une meilleure compréhension des paléoenvironnements littoraux, des processus morphodynamiques côtiers, ainsi que des logiques d’organisation de l’espace portuaire et urbain (Goiran et al., 2005).

Cette démarche permet de répondre à des questions qui intéressent la communauté des archéologues, des historiens et des géographes. Ainsi, l’interdisciplinarité intervient à la fois dans l’étude des relations sociétés-milieux, qu’il faut aborder par croisement de compétences (entre sciences humaines et géosciences), mais aussi par le biais d’une étude comparée entre l’analyse d’anciens géosystèmes et les dynamiques environnementales actuelles (Goiran, 2001).

3.2. Le choix des sites portuaires

Sous le règne de Louis IX, au moins deux ports sont en activité à Aigues-Mortes : le premier se situerait au débouché du Canal Viel, il n’aurait constitué que l’avant port d’Aigues-Mortes tandis que le port principal était accolé aux remparts sud de la cité. De nombreuses questions surgissent lorsque l’on s’intéresse aux ports fondés par le roi de France Louis IX. Il y a tout d’abord les raisons qui ont poussé Louis IX à choisir Aigues-Mortes comme port sur la Méditerranée. A ce sujet un important travail sur les sources textuelles et manuscrites anciennes est indispensable pour en comprendre les tenants et les aboutissants (Florençon, 1996).

La localisation des ports sous Louis IX s’appuie essentiellement sur des textes historiques. Il ressort des sources écrites l’existence d’un port situé au débouché du Canal Vieil, un port situé dans la partie sud de la cité d’Aigues-Mortes et un troisième dit des Estaques plus à l’est. Ces sites offrent des opportunités (accès à la mer, présence de graus, d’embouchures fluviales…) mais aussi des contraintes (éloignement de la cité d’Aigues-Mortes, évolution géomorphologique du rivage, risque de submersion marine et d’inondation fluviale…). La localisation des ports a t’elle été influencée ou imposée par les caractéristiques morphologiques du littoral dont les contours restent à préciser ? Les conflits de propriétés et de fonciers ont-ils participé directement ou indirectement dans le choix des sites portuaires ? Nos recherches vont se concentrer sur plusieurs sites dans l’optique de localiser l’avant-port du Canal Vieil et le port au pied de la ville.

3.3. La structure et la configuration des bassins portuaires

Il existe très peu d’informations sur la structure des ports. Les structures archéologiques sont probablement enfouis sous les dépôts sédimentaires, elles n’ont pas été identifiées, ni étudiées. Une prospection géophysique sera conduite lorsque le port situé au débouché du Canal Vieil aura été localisé plus précisément (Financement LP Pereyre).

Le contenu du bassin portuaire qui comprend le volume d’eau et le volume sédimentaire, n’a pas été étudié. Cette approche permet d’aboutir à une mesure de la hauteur de la colonne d’eau et à une estimation du tirant d’eau maximal des navires (Florençon, 1996). L’étude du contenu sédimentaire et de bio-indicateurs (pollens, faunes…) permet de caractériser le degré de confinement et de protection du milieu portuaire face aux évènements hydrodynamiques brutaux (crues, ouvertures et fermetures de graus, tempêtes…).

Nous ne possédons pas d’éléments sur les moyens de protection des bassins portuaires. Etaient-ils protégés par des jetées en bois ou en pierre et/ou les ports profitaient-ils d’une position d’abri en fond de baie pour se protéger des tempêtes marines ? Des opérations de dragage ont-elles été conduites pour freiner les problèmes de colmatage sédimentaire relatifs à tous les ports ? Ce colmatage constitue t-il un élément clé pour expliquer le déclin puis l’abandon des ports ? Ce problème reflète aussi le poids inégal des contraintes naturelles et les limites des réponses que les sociétés peuvent y apporter.

Les études sédimentologique et paléoécologique des dépôts apporteront des éléments de réponses à ces questions essentielles.

3.4. Le fonctionnement portuaire

L’accès aux deux ports reste tout aussi hypothétique. Les derniers éléments que nous possédons laissent à penser que le canal vieil creusé sous louis IX servait de voie d’eau pour relier la cité d’Aigues-Mortes à son avant-port qui serait alors situé sur la rive nord de l’actuel étang du Ponant. Ce canal doit absolument être étudié (largeur, profondeur, date de fonctionnement) pour avant tout affirmer son existence au cours du XIIIe siècle et cerner son rôle fondamental. Quant au port situé au pied de la ville, on imagine les dépôts et les magasins en arrière avec un accès au port par plusieurs portes mais aucun reste archéologique de la structure du port n’a été mis au jour.

Les modes de circulation et de navigation marine et intra lagunaire sont déduits à partir de textes anciens (ex : dépôts de plaintes). Recoupés à une reconstitution des paléorivages médiévaux (Rey, 2006 et 2010), à haute résolution spatiale et temporelle, ils permettront d’aborder l’histoire de la navigation et des routes maritimes (Gras, 1985). Au final, l’approche contribue à cerner les modes de structuration du territoire (Provansal et al., 1995), les logiques d’organisation de cet espace portuaire et urbain au cours du temps et l’évolution générale du paysage littoral, les liens avec la mer, la cité d’Aigues-Mortes et l’hinterland.

  1. Axe 2 : les fortifications d’Aigues-Mortes (Nicolas Faucherre – Université Aix Marseille / LA3M)

L’enceinte urbaine d’Aigues-Mortes — vaste quadrilatère irrégulier d’1, 6 km de développement, fondé ex nihilo dans le marais, percé de dix portes dont cinq entre deux tours, et flanqué de six tours maîtresses — est loin d’avoir livré tous ses secrets,  malgré l’étude majeure dont elle a fait l’objet par l’Inventaire général en 1973.

Quarante ans plus tard, ce chantier majeur lié à ce port exclusif du roi de France en Languedoc mérite d’être revisité à l’aune des nouveaux questionnements de l’archéologie du bâti et de l’étude des sols.

Trois hypothèses principales seraient à valider :

– Après la tour de Constance isolée dans le milieu du XIIIe siècle, le chantier de l’enveloppe semble avoir suivi la croissance du lotissement urbain, formant d’abord un carré, puis un rectangle.

– Simultanément, les techniques de fondation et la résistance aux affouillements de l’eau semblent avoir évolué de façon empirique, de la semelle au pieu battu, de l’escarpe talutée à la banquette gazonnée.

– La mise en œuvre, d’après les observations récentes sur la tour de la Reine, suggère un phasage de chantier en trois temps, qu’il faudrait confirmer, concentré d’abords sur les ouvrages de flanquement montés jusqu’à mi-hauteur, puis reliés par les courtines, avant un remontage homogène tours/courtines de la moitié supérieure de l’enceinte.

Une étude archéologique croisant des sondages en pied de courtine, des carottages intra et extra muros et du relevé pierre à pierre de portions significatives du périmètre permettrait de restituer au plus prêt la réalité physique du site originel et son évolution dans le court temps de sa vie active avant l’annexion de la Provence.

  1. Axe 3 – l’historiographie médiévale (Lucie Galano – Centre d’Études Médiévales de Montpellier )

Par son statut exceptionnel de port royal, Aigues-Mortes bénéficie d’une promotion patrimoniale de grande ampleur qui, malheureusement, ne s’attarde pas toujours à remettre en question certaines croyances colportées par une historiographie ancienne, comportant des imprécisions regrettables, notamment sur le tracé et l’utilisation du Canal-Viel, qui reliait l’ancien port de St Louis à la mer (LENTHÉRIC, 1868). Si des auteurs renommés tel que Jacques Le Goff (LE GOFF, 1990), ont apporté une attention rigoureuse à l’histoire de la cité à partir d’une étude méthodique des documents, si un colloque scientifique sur « la Méditerranée au temps de St Louis » s’est tenu dans la ville (DEDEYAN et LE GOFF, 2001), l’historiographie de la cité n’a pas pour autant bénéficié ces dernières années d’un renouveau important. Ce, malgré les perspectives nouvelles ouvertes par la recherche historique, qui engageraient à revenir sur son histoire.

L’une de ces perspectives intéresse tout particulièrement le cas d’Aigues-Mortes : il s’agit des recherches portant sur les ports et sur les infrastructures portuaires (STURMEL, 2005 ; FABRE et LE BLÉVEC, 2009). Le cadre d’analyse conceptuel et les thématiques mis en exergue par ces recherches méritent d’inspirer l’historiographie d’Aigues-Mortes. Son statut de port est une donnée bien connue sur laquelle, pourtant, l’on est loin de tout savoir. Quelles étaient les spécificités du port de St Louis, depuis son emplacement jusqu’à ses infrastructures ? Comment les navires pouvaient y accéder ? Quels types d’embarcation pouvaient s’y amarrer ? Ce sont autant de questions traitées de manière insatisfaisante par l’historiographie ancienne qu’il serait nécessaire de soulever à nouveau. Les problématiques liées à l’aménagement du territoire et notamment au creusement de canaux de navigation, sont fondamentales pour la connaissance des spécificités du port aigues-mortais, mais engage également de nombreuses réflexions sur les phénomènes d’appropriation du territoire. L’histoire du « Canal-Viel » en est exemplaire, et comporte, pour l’heure, de nombreuses lacunes et imprécisions.

Cet important travail ne peut se faire sans un croisement des perspectives et une collaboration entre chercheurs. Le grand intérêt de ce PCR est alors de permettre la confrontation des données mises au jour par des disciplines telles que l’archéologie et la géomorphologie, aux différentes sources d’archives. Cette interdisciplinarité faisait défaut aux historiens du passé, ce qui a entraîné des confusions, des erreurs d’interprétation. Une relecture en profondeur des archives concernant Aigues-Mortes tout comme une déconstruction historiographique, s’avèrent nécessaires.

L’histoire de la navigation, par exemple, améliorée par l’utilisation de nouvelles méthodes – telles que l’étude de l’iconographie (VILLAIN-GANDOSSI, 1985) – pose encore des problèmes épineux aux historiens sur la morphologie des embarcations, leur tonnage, leur voilure. Ces problèmes ne peuvent être résolus qu’en menant de front études archéologiques et études des textes. En raison de la dimension novatrice de ce champ, un important travail de recherche en archives est à mener. L’histoire d’Aigues-Mortes s’inscrit dans une historiographie régionale en plein essor et nourrira notre connaissance des réseaux d’échanges qui pouvaient se tisser autour du port de St Louis. Ce port n’a pas servi uniquement les villes du royaume français (Aigues-Mortes elle-même, Nîmes ou Beaucaire) ; il a également profité au commerce de villes voisines, telle que Montpellier. À plus grande échelle encore, l’histoire du port côtoie l’histoire complexe de la Méditerranée et des pays méditerranéens avec lesquels la cité entretenait des relations commerciales sur lesquelles il reste de la documentation quasi-inédite. La représentation du paysage, la manière dont les hommes percevaient leur milieu, apparaîtra sans conteste dans les problématiques qui émergeront d’un retour systématique aux sources.

L’histoire du port d’Aigues-Mortes ne peut être renouvelée sans des recherches archivistiques d’une ampleur certaine : d’une part, un retour à la documentation pour réévaluer les conceptions passées, d’autre part, la mise au jour et l’analyse de sources inédites. Or, les archives sur Aigues-Mortes sont caractérisées par leur dispersion : certains documents sont conservés aux archives départementales de Nîmes, d’autres aux archives municipales de cette ville, de la ville d’Aigues-Mortes mais aussi de celle de Montpellier, ou encore aux archives nationales conservées à Paris. Un parcours long, qui nécessite d’importants déplacements, essentiels si l’on souhaite rectifier certaines erreurs de l’historiographie traditionnelle et apporter à l’histoire patrimoniale de la cité et de sa région, un éclairage nouveau.

  1. Les échanges scientifiques

L’histoire des ports d’Aigues-Mortes, de la navigation et des routes maritimes et des environnements est le point focal de nos recherches. Néanmoins dans le cadre de notre approche géoarchéologique et à l’aide des archives sédimentaires acquises lors des forages, nous étudierons toute la stratigraphie qui en fonction de l’épaisseur (10 à 20 mètres) permettra d’étudier des périodes antérieures au Moyen-âge, toute aussi déterminante dans l’histoire des littoraux du Languedoc. En bordure du littoral et en aval des bassins du Vidourle et du Vistre, nous espérons obtenir des séquences sédimentaires suffisamment longues et continues pour échanger avec nos collègues de l’UMR 5140 qui travaillent plus en amont sur les sites protohistoriques du Cailar et d’Espeyran (Roure, 2010) et autour du cordon des Sables (Claude Raynaud)

D’autres informations régionales pourraient ressortir de ces archives comme les forçages climatiques et les pressions humaines identifiés pour l’Antiquité tardive dans le delta du Rhône et le bassin versant rhodanien, la crise érosive axée sur le VIIIe siècle, le Petit Optimum Médiéval dont les informations restent lacunaires pour l’ensemble de la région et enfin le Petit Age Glaciaire dont les impacts sur les sociétés et les environnements ont été identifiés en quelques points sur le littoral languedocien (Berger et al., 2010 ; Rey, 2010).

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